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livre de Samuel est fait de plusieurs récits parallèles, assez mal combinés. Les Prophéties d’Isaïe sont incomplètes ; celles de Jérémie ont été recueillies, ou plutôt entassées en désordre, mêlées à des Mémoires dictés à Baruch ; celles d’Ezéchiel et des petits prophètes ne sont que des fragmens. Job est, à tous points de vue, une énigme. Les six chapitres de Daniel écrits en chaldéen sont tirés des Chronologies chaldéennes. Le Livre des Proverbes ne peut pas être antérieur à Josias, il est probablement postérieur ; il a failli être enlevé par les rabbins du canon hébreu, comme l’ont été la Sagesse et Tobie : « Merci de l’avoir conservé ! » — La compilation des Psaumes se place à l’époque de Judas Macchabée, et bien longtemps après, les Paralipomènes, Esdras, Esther, Néhémie, les chapitres hébreux de Daniel[1]. Quant au Nouveau Testament, Spinoza refuse de l’aborder, parce qu’il ne connaît pas assez le grec : d’autres d’ailleurs s’en occupent[2].

Sous la multiplicité des documens utilisés, il sait voir l’unité réelle de la Bible, trop méconnue des critiques de nos jours, ou, du moins, de ceux qui les ont immédiatement précédés. La compilation d’Esdras, par exemple, est visiblement faite avec une intention unique, sur un plan déterminé. Les méthodes d’analyse ne doivent pas faire perdre de vue ce fait aveuglant : tout, dans la Bible, concourt à un même dessein.

Ces chapitres d’exégèse sont une partie solide de l’œuvre de Spinoza. Ils supposent un travail profond, bien conduit. Ils n’en donnent que les résultats, de façon un peu sommaire peut-être, et malheureusement trop enchevêtrée. Mais on admire un ensemble rare de hardiesse et de mesure dans la pensée, un souci constant de terminer les disputes en s’élevant au-dessus d’elles. Sur le point de s’emporter contre les rabbins sophistes et les interprètes vulgaires, Spinoza se reprend : « Loin de moi la pensée de les accuser de blasphème. Je sais que leurs intentions sont pures, et que se tromper est le propre de l’homme. » Tout le Traité fait œuvre de concorde ; on y sent partout la sérénité du savant.

  1. Ibn-Ezra a pressenti que ces quatre derniers livres dérivent d’une source unique et perdue : le Livre des Annales (p. 213-214, 218-220 et note 23).
  2. Spinoza peut faire allusion à Fr. Spanheim jr., connu pour ses études sur S. Mathieu et qui, en 1670, remplaça à l’Université de Leyde Coccéjus dont il combattit l’influence.