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pour l’autre ; et c’est une question de savoir si les lettres mêmes, les gutturales, par exemple, ne peuvent pas s’échanger.

Nous avons de Spinoza un Sommaire de Grammaire hébraïque. Il y donna tous ses soins. Il ne put malheureusement l’achever, malgré son désir. Il y manque la syntaxe. Cet ouvrage marque une réaction un peu excessive contre les Massorètes, et plus encore contre les grammairiens modernes, Abraham de Balmes, Elie Levila, Buxtorf lui-même, et contre les Bibles vulgaires[1]. Spinoza revient aux rabbins du moyen âge, à Baschi et à Mosé

Kimchi, cette fois, plutôt qu’à Ibn-Ezra. Il s’inspire certainement aussi du De Arte grammatica (1635), de Ger.-J. Vossius, l’ami de Grotius. On voit dans cette grammaire un effort important pour séparer l’hébreu de l’araméen et du néo-hébreu. On y a noté des vues originales sur les accens, sur les altérations de voyelles[2].

En même temps qu’une grammaire, il faut un dictionnaire, ou plutôt des tables de concordances, comme celles de Nathan et de Buxtorf, indiquant pour chaque mot tous les passages où ce mot est employé. Mais l’utilité en est moins grande qu’on pourrait croire, car chaque auteur se soucie peu de s’expliquer soi-même, et les différens livres de la Bible sont loin de concorder entre eux.


En possession de ces deux instrumens de travail, grammaire et dictionnaire, on abordera les textes. Deux difficultés considérables se présentent, venant des altérations qu’ils ont subies et de ce que nous ne savons presque rien de leurs auteurs, de leur âge respectif, de leurs destinées. L’altération du texte de la Bible est à la fois si certaine et si profonde qu’ « il est presque aussi impossible de s’y confier ou de le refaire. » Toutefois Spinoza n’en exagère pas l’importance. La critique, en particulier, qu’il fait des notes marginales est un modèle de justesse et de modération.

Bien plus grave est notre ignorance de l’histoire des Livres saints. Presque tous sont, de fait, anonymes. Comment interpréter

  1. Spinoza possédait entre autres (Voy. Inv. de sa Biblioth., van Rooijen, p. 138, 119, 131, 139, 127) les Bibles de Junius et Tremellius (citée p. 127), de Buxtorf, de Pagnino. Il cite aussi celle de Bomberg (p. 211).
  2. Ch. IV et VI. Voy. Bernays ap. Schaarschmidt. Desc. u. Sp. Bonn, 1858 ; Chajes, Uber die Hebr. gramm. Sp. Breslau, 1869.