Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur lesquels se puisse faire l’accord des bonnes volontés. C’est à ce double objet que répond le Traité de Théologie de Spinoza.


II

Il dépasse autant le point île vue de Meyer que celui des Coccéiens. Spinoza évite de les nommer ; il réfute leurs doctrines opposées sous les noms de Maïmonide et de Juda-ibn-Alfachar, afin de rester supérieur aux polémiques[1] et parce qu’en ces discussions, les rabbins étaient de cinq ou six siècles en avance sur les chrétiens. Son livre contient la pure substance de la science rabbinique. Il est le couronnement inespéré et la revanche contre Maïmonide des vues de génie du grand rabbin nomade, Abraham-ibn-Ezra, et de l’admirable école française, de Salomon de Troyes (Raschi) et de David Qamhi de Narbonne (Kimchi).

Maïmonide soutient, comme tant de théologiens, l’idée fausse que tout passage de l’Écriture admet plusieurs sens. Pour choisir entre eux, il faut se rapporter à une doctrine philosophique. « Par exemple, dit-il, il résulte des plus claires démonstrations que Dieu n’est pas un être corporel ; il faut donc approprier à cette vérité tous les endroits de l’Écriture qui y sont littéralement contraires[2]. » Comme si les philosophes s’entendaient ; comme si l’Écriture leur était destinée ; comme si, enfin, les différens livres de la Bible présentaient une doctrine unique et cohérente ! En opposition à cette méthode « dangereuse et absurde, » Spinoza définit la condition essentielle d’une méthode rigoureuse ; la soumission à l’objet. Il faut critiquer la Bible par la Bible même, déterminer exactement ce qu’elle contient, ne demander d’explication qu’aux usages de la langue, ou à des raisonnemens fondés sur l’Écriture elle-même. « Par exemple, Moïse a dit que Dieu est un feu, que Dieu est jaloux. Rien de plus clair que ces paroles, à ne regarder que la signification des mots. Je classe donc ce passage parmi les passages clairs, bien qu’au regard de la raison, il soit parfaitement obscur. — Maintenant

  1. Dans une lettre à un fâcheux, Spinoza se défend d’avoir songé aux théologiens contemporains (Lettre 43. Van Vlot., in-12, t. II. p. 330). Mais il fait un peu plus loin une allusion très claire à Meyer, que son correspondant a cité sous le nom de Theologus paradoxus (Lettre 42, p, 339).
  2. Moré Nébouchim. t. II. ch. XXV, cité par Spinoza, p. 180.