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française, à la lente résurrection du vieil homme : Caubet, qui devint à Paris chef de la police municipale, était impatient de ce réveil. N’écrivait-il pas, dès 1874, qu’il regrettait les années où la maçonnerie travaillait à constituer la grande famille humaine, et n’applaudissait-il pas à la reprise de ces « banquets qui relient par les mêmes aspirations tous les ateliers du globe ? » Le vénérable de Saint-Nazaire faisait écho : il adressait un message à la Vérité, revue maçonnique de Lausanne, pour réclamer des convens universels en vue de la fédération de tous les peuples. A la loge Alsace-Lorraine elle-même, un visiteur, un jour, dessinant les futures républiques sur la carte des États-Unis d’Europe, « promettait tout tranquillement d’accepter les nouvelles républiques sur le pied d’égalité : » à l’arrogante sûreté de son langage, on eût cru entendre le Premier Consul. Un orateur, assez aventureux pour que le chroniqueur maçonnique remplaçât ses propos par des lignes de points, expliquait à la Jérusalem Écossaise que son idéal reposait sur la fédération universelle, et l’on eu fêtait l’aurore, à l’Aménité du Havre, par un impétueux échange d’étreintes entre maçons français et maçons anglais. Un enterrement dans le Cantal, un baptême au Havre, une séance de poésie à Lyon, un bal à Bordeaux, servaient de prétexte à des déclarations de cosmopolitisme. Ne voyait-on pas, dans ce bal, offert par une loge bordelaise, « l’Espagnole faire vis-à-vis à l’Italien, la Turque au caleçon écarlate s’appuyer mollement sur le sombre Moscovite ? » Ce quadrille hétérogène flattait l’internationalisme du chroniqueur ; il profitait de l’occurrence pour exhaler, au terme de son compte rendu, quelques soupirs humanitaires.

Il semblait qu’en accentuant en toute occasion le vrai caractère de l’institution maçonnique, on voulût marquer un point d’arrêt sur la pente inverse ; c’est qu’en effet on avait à remonter une côte jugée dangereuse, celle qui longeait l’abîme du chauvinisme ; et le vénérable des Hospitaliers de Saint-Ouen déclarait tout net, en 1874, qu’ « il vaut mieux être un peu moins animé de patriotisme que de n’être point un citoyen du monde. » C’est une banalité d’être patriote, surtout au lendemain d’une défaite ; une telle vertu n’est point une occasion de s’ériger au-dessus des profanes. La profession de civisme universel, tout au contraire, offre je ne sais quoi de plus distingué ; on se donne l’illusion de monter un degré sur l’échelle des intelligences