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France devait grandir l’Europe, que la République, synonyme de l’âme humaine, n’était autre chose qu’un grand désarmement, que l’Europe unie embrasserait bientôt l’Amérique, que les nations sœurs, — c’est-à-dire la liberté, — auraient pour cité Paris, — c’est-à-dire la lumière ; et la conclusion pratique, c’était : « Brisons les glaives valets des superstitions et les dogmes qui ont le sabre au poing. » Il se croyait une mission, et la définissait en ces termes à ses chers « compatriotes d’Italie » : « Conseiller la paix aux hommes et l’intimer aux rois ; » il se croyait une infaillibilité, et prophétisait tranquillement qu’au XXe siècle, « la guerre serait morte, que l’échafaud serait mort, que la haine serait morte, que la royauté serait morte, que les frontières seraient mortes, que les dogmes seraient morts, et que l’homme vivrait. » Cependant, à certaines heures, le spectacle de la réalité, s’interposant comme un voile, obnubilait son regard de prophète : alors le prochain XXe siècle lui paraissait moins radieux, alors il se laissait aller à dire qu’ « on n’entrevoyait plus la paix qu’à travers un choc et au delà d’un sinistre combat ; » mais les États-Unis d’Europe, immédiatement, châtiaient par une sévère protestation la défaillance du rêveur ; la Gazette de Francfort insistait, et ratifiait la punition... Et le vénérable poète, ainsi bousculé dès qu’il regardait la terre, regagnait son Olympe, où l’attendait à l’avance, pour le cerner, la captieuse fumée des hommages. Lorsque, en 1885, il mourut, Lemonnier, au nom du comité de la Ligue de la paix, écrivit à M. Turquet, pour qu’aux funérailles de Victor Hugo, désormais confisqué par l’humanitarisme, la patriotique clameur des salves d’artillerie fût supprimée.

On rencontrait derrière Garibaldi et derrière Victor Hugo, soit dans les séances des congrès suisses, soit parmi les souscripteurs des Etats-Unis d’Europe, soit parmi les membres du comité directeur de la Ligne de la Paix et de la Liberté, quelques hommes politiques et quelques publicistes, qui laissaient Gambetta fonder la République, mais qui n’abdiquaient pas l’espoir de la rendre, tôt ou tard, républicaine à leur façon : c’étaient, parmi les députés ou sénateurs, Louis Blanc, Edgar Quinet, Laurent Pichat, MM, Barodet et Frébault, de la Seine ; M. Jules Gaillard, de Vaucluse ; Couturier, de l’Isère ; Codet, de la Haute-Vienne ; M. Laisant, de la Loire-Inférieure ; c’était Louis Mie, de la Gironde, l’avocat attitré du parli républicain ;