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contre la majorité de l’Assemblée nationale et contre le gouvernement du Seize-Mai, avaient pu les faire taire ou même les rendre inconscientes, mais non les supprimer. La dogmatique humanitaire et républicaine élaborée par les premiers Congrès de la Paix et de la Liberté n’était pas encore complètement définie lorsque la guerre de 1870 en vint déranger l’appareil ; elle avait des croyans et des docteurs supérieurs à tout découragement ; au lendemain du traité de Francfort, ils reprirent leur œuvre annuelle, et dans leur laboratoire suisse recommencèrent de travailler pour la France. C’est là que se forgèrent les doctrines qui, plus tard, se distillant à doses supportables dans une grande partie de la presse républicaine, furent employées à saper tour à tour la diplomatie gambettiste, la politique coloniale de Jules Ferry, et finalement le militarisme.

Lorsque, en 1871, à Lausanne, les congressistes se retrouvèrent, ils ne purent se dissimuler une déception : Simon, de Trêves, pour la forme, sans doute, leur fit voter un appel à la démocratie allemande ; puis, se retournant vers le peuple français, ils rengagèrent à répudier toute idée de revanche et à se préoccuper, avant tout, de consolider la République par l’abolition de l’armée permanente. Thiers et Gambetta négligèrent le conseil ; et le congrès de Lugano, en 1872, put regretter, avec Charles Lemonnier, que la République Française « n’eût point su se délivrer du fléau croissant du militarisme. » Entre Thiers et Gambetta, d’une part, Charles Lemonnier d’autre part, le conflit était flagrant ; ni Thiers ni Gambetta sans doute n’avaient cure de cet adversaire, non plus que de son correspondant Garibaldi, et ils avaient raison. Mais nous allons assister, ici, à l’une des premières prises d’armes de l’humanitarisme républicain contre les patriotes qui fondaient la République.

Un des apôtres les plus passionnés du nouveau régime en Franche-Comté, M. Victor Poupin, longtemps député, réclama de Charles Lemonnier une brochure sur les États-Unis d’Europe pour une collection qui s’appelait Bibliothèque démocratique, et qui, colportée parmi les « ruraux », les devait rendre « républicains. » C’est au moment même où Thiers et Gambetta conjuraient la France de se recueillir et de s’armer que Charles Lemonnier dénonçait au paysan de France le « fanatisme patriotique » dont l’Allemagne et la France donnaient un « exemple déplorable, » et qu’il le conviait à maudire les divers obstacles