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peu d’empressement à l’inscrire dans le panthéon de ses grands hommes ; elle préfère des héros d’un autre ordre, moins exclusifs, moins étroits, moins militaristes, des héros qui n’aient point l’inconvénient, naïvement reproché à Gambetta par le « vieux républicain » Wladimir Gagneur, de « causer de véritables inquiétudes à l’étranger. » La loge Alsace-Lorraine faisant célébrer une tenue solennelle en mémoire de l’illustre défunt, un futur ministre de la République, M. Mesureur, empêcha, en se plaçant « au point de vue politique, » que la Grande loge symbolique écossaise n’y fût représentée. Il semble que ces réserves et ce veto eurent quelque écho dans l’église maçonnique ; car M. Reinach, dès la fin de 1884, crut opportun de fournir à ses frères de l’Alsace-Lorraine quelques explications nécessaires. Laissons ici la parole au chroniqueur :


Se déshabillant complètement sous le cordon maçonnique, et se mettant nu comme la Vérité, le frère Reinarh a jeté par-dessus bord les ralliés au parti gambettiste ; en cela faisant cause commune avec nombre d’auditeurs qui s’obstinent à les tenir pour la honte de la République... Comme il semblait, durant tout ce discours, que le grand orateur, soulevant la pierre de sa tombe, était venu demander pardon des fautes que son patriotisme lui fit commettre, s’excusant de la nomination de celui-ci parce qu’il le croyait bon général, ou de celui-là parce qu’il eût pu se faire acheter ailleurs !


Ce compte rendu est extrait d’une revue maçonnique ; c’est un Dangeau qui parle ici : pour raconter cette séance, qui dut être piquante et triste, on rêverait d’un Saint-Simon. Il semble bien que le bon chroniqueur, continuant et poursuivant, avec moins de nuances, mais sans trop d’infidélité, le geste de M. Reinach, jette ici par-dessus bord Gambetta lui-même. C’est qu’en effet, entre Léon Gambetta, qui qualifiait le parti républicain de « parti de patriotes » et conviait tous les Français à s’y venir grouper, et certains de ses amis, à la fois sectaires et cosmopolites, toujours prêts à surélever les frontières de la République et à abaisser celles de la France, la paix du tombeau, qui d’ordinaire scelle la réconciliation, devait au contraire, — et c’est l’honneur de Gambetta, — faire éclater les discordes posthumes.


IV

Ces discordes, en réalité, avaient toujours existé : la décence qui convient au lendemain d’une défaite, l’urgence d’une lutte