Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/159

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’un songeait à supprimer toutes les frontières, et l’autre à reculer celles de la France ; l’un méprisait la gloire des armes, et l’autre voulait qu’elle nous fût rendue ; l’un considérait l’égoïsme national comme une mesquinerie, et l’autre s’enorgueillissait d’en être le serviteur ; l’un rêvait d’une politique extérieure concertée par le libre suffrage des peuples, et l’autre, devenu familier avec les nécessités du pouvoir, ne craignait pas de dire, en 1882, qu’il fallait qu’à l’occasion des affaires d’Egypte, le gouvernement sût « prendre une initiative et une responsabilité. » — « Jamais ! ripostait alors M. de Lanessan. Le gouvernement n’a pas le droit de guerre et de paix... » Et M. Jules Gaillard (de Vaucluse) interrompait à son tour : « C’est la politique de la monarchie. »

La politique de la monarchie, était-ce de quoi faire reculer Gambetta ? Il avait le sens de la tradition nationale et l’intelligence des réalités de l’histoire ; la République lui paraissait appelée, non point à laisser tomber en déshérence l’héritage des régimes anciens, mais à l’accepter tel quel, avec ses gloires et avec ses fautes, et à continuer ces gloires, et à réparer ces fautes. « Ma noblesse va bien, » s’écriait-il un jour, en 1870, en apprenant les valeureux faits d’armes de M. de Carayon-Latour et de ses soldats : dans cette boutade, tout Gambetta jaillit. Il ne voulait pas que rien de ce qui était la France lui fût étranger ; « dévot de Jeanne d’Arc autant que de Voltaire, » il disait en 1876 : « Ce serait faire une politique détestable que de ne pas tenir un très grand compte, dans les relations de la France avec l’extérieur, de ce que j’appelle, avec l’histoire et avec les traditions diplomatiques du pays, la clientèle catholique de la France dans le monde. » Peu de temps s’écoulait, et sur les mêmes lèvres un cri de guerre contre le cléricalisme retentissait. Les coreligionnaires politiques de Gambetta applaudissaient ce cri de guerre, pour le rendre plus redoutable à tous ceux qui s’en effrayaient, mais certains de ces applaudissemens demeuraient quelque peu défians. Il évoquait trop volontiers l’ « histoire, » trop volontiers les « traditions diplomatiques ; » ces mots qui résument un passé, qui rappellent des liens, qui perpétuent une patrie, étaient faits pour déplaire aux amateurs de tables rases qui, sur les décombres des diverses patries, eussent volontiers construit la cité de l’humanité.

Lorsqu’il mourut, au début de 1883, sa dépouille fut plus honorée que sa personne ne fut regrettée. La maçonnerie montra