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tout d’abord, maintient avec jalousie l’autonomie de sa personnalité. Gambetta, différant en cela de beaucoup d’hommes de son parti, était le représentant de cette idée : il l’avait empruntée, semble-t-il, au commerce de la philosophie positiviste ; il s’y confirmait, au cours de ses voyages presque souverains, par le contact avec l’âme populaire. Au lendemain de sa mort, M. Pierre Laffitte écrivait :


La résistance désespérée de 1870 rendit à la France elle-même le sentiment de son individualité collective, qu’elle tendait à perdre dans les enivremens d’un économisme triomphant, dont les basses aspirations et les lâchetés se dissimulaient en vain sous les apparences d’une philanthropie trompeuse... Sans doute, un jour viendra où toutes les questions sociales pourront se résoudre simplement, par les procédés d’une conciliation rationnelle, et le positivisme lui-même peut, et mieux que toute autre influence, préparer l’avènement d’un pareil régime. Mais ce jour n’est pas encore venu, et les hommes d’État qui, tout en pensant à l’avenir, se préoccupent surtout du présent, ont pour mission et pour devoir de conserver l’existence et la vigueur des individualités collectives, ou des nations, dont la direction leur est échue. Tel fut le premier service capital rendu par Gambetta à sa patrie.


On ne saurait mieux dire, ni marquer avec une rigueur en quelque sorte plus scientifique, l’originalité de Gambetta. De nombreux textes militent, dans ses discours, en faveur des éloges que lui décerne M. Pierre Laffitte, et qu’une fraction du parti républicain préférerait certainement oublier : lorsque sa voix, à Cherbourg, sonna comme un coup de clairon, la France attentive l’entendit porter un toast au progrès de cette ville, « tant au point de vue militaire, qui est le premier, qu’au point de vue économique. » On commença de s’écrier en divers partis : Gambetta, c’est la guerre ; mais les hommes qui s’élevaient au-dessus des partis sentirent que la République Française, en affirmant que « le point de vue militaire est le premier, » donnait un double exemple de force, de cette force intime et confiante qu’impliquent toujours un grand acte de foi et un grand acte de contrition ; car elle osait, tout à la fois, parler au monde et se corriger elle-même.

M. Pierre Laffitte vient de nous dessiner le trait essentiel de la physionomie de Gambetta. Que si nous voulions, d’un œil plus minutieux, en épier les détails, un des amis qui l’ont le mieux connu, M. Deluns-Montaud, nous pourrait longuement aider dans cette recherche : il nous rappelait, il n’y a pas longtemps,