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risque de passer pour un peu court de vues, il restaura le bon sens dans ses droits ; et, dût-il donner à la France des allures de bourgeoise égoïste, il exigea qu’elle fît retraite en elle-même, qu’elle rentrât chez elle, dans ce home traditionnel auquel le vainqueur venait d’imposer là-bas, vers l’Est, certaines servitudes d’alignement, et qu’elle avisât laborieusement aux nécessités de son intérêt national. Ce fut le premier épisode des revanches françaises, à l’endroit de cet humanitarisme dont la France s’était laissé griser.

Du fond de la Suisse, l’humanitarisme protesta : c’était au Congrès international de Lugano ; et la lettre de Garibaldi dont on donna lecture mérite d’être conservée :


Qu’il entre dans les calculs des puissans de l’Europe de conserver et de perfectionner les armées permanentes, c’était une chose fatale, anti-humaine, mais évidemment certaine. Mais que la pierre du scandale, — la mèche des traîneurs de sabre, — soit la République française, — la patrie des Voltaire et des Victor Hugo, — ou plutôt le minuscule monarque Protée, abreuvé de sang, caméléon, qui, comme l’homme de Sedan, est envahi de velléités guerrières au point de tenir le monde en effervescence, et d’obliger les nations à s’armer jusqu’aux dents : c’est la preuve que ce soi-disant siècle du progrès ment à pleine bouche. Thiers, comme Bonaparte, trompe la France avec la gloire, la ruine avec des argumens disproportionnés, oblige le monde entier à s’armer et à soustraire les peuples au travail ; comme Bonaparte, Thiers est l’homme mensonge.


Thiers laissait dire, indifférent à ces séniles outrages ; et les républicains qui s’en allaient à Lugano, digne dès lors d’être la Rome de l’anarchie, pour acclamer de pareilles sottises, avaient bien soin, à leur retour en France, de se taire et de se terrer. Car Adolphe Thiers, en sa besogne de patriote, avait derrière lui Léon Gambetta, et Léon Gambetta, lui, avait derrière lui la République.


III

Nos malheurs avaient ridé Gambetta, et ils l’avaient changé, MM. Paul et Victor Margueritte comparaient, il n’y a pas longtemps, deux portraits du grand homme, dont l’un remonte à 1869 et dont l’autre date de 1871. En 1869, il est jeune ; les cheveux flottent ; l’œil rayonne d’enthousiasme ; la tête est haute, confiante ; en 1871, jauni, maigri, fatigué, le regard chargé de