Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de démocratie quand il s’agit de l’organisation de l’armée, » l’auditoire attentif esquissait des gestes d’adhésion.

Que la République naissante se laissât imposer par l’ancien ministre d’une royauté bourgeoise les règles fondamentales de son organisation militaire : c’était un signe évident que l’intérêt patriotique était exclusivement envisagé. Thiers posa la question de confiance ; et Trochu, qui réclamait le service obligatoire à court terme et qui ralliait à cette idée, dans l’Assemblée nationale, la majorité des opinions, n’obtint en sa faveur que la minorité des votes. Il avait l’adhésion latente de ses collègues, mais Thiers eut leur confiance ; le service de sept ans fut accepté.

Les divers partis suivaient Thiers sans l’aimer. On se rendait compte, à droite, qu’en perpétuant par sa présence au pouvoir un provisoire anonyme, il habituait les esprits à l’idée de la République ; et les hommes de gauche, accoutumés à mettre sous l’étiquette « République » un ensemble de doctrines et d’aspirations, d’utopies et d’hostilités, singulièrement incompatibles avec la politique de Thiers, s’amusaient parfois à concerter contre leur importun Mentor d’assez vilaines gamineries : l’élection de M. Barodet fut la plus gênante. Le Chef du pouvoir exécutif laissait faire ; il garda la présidence tant qu’il la put garder, parmi la double ingratitude des circonstances et des hommes ; il agit à l’endroit de la France comme agissent, à l’égard des familles dont ils ont à réparer les infortunes, ces tuteurs systématiquement sévères et presque disgracieux qui préfèrent aux mariages d’amour les mariages de convenance et aux amusemens de la sociabilité le souci d’un bon train de maison. L’on avait vu la France, sous le second Empire, se lancer dans le tourbillon du monde européen et prodiguer en amabilités le meilleur de son sang, de son or et de son cœur ; tantôt, avec cette courtoisie facile que donne une coquetterie sûre d’elle-même, elle laissait le pas à la Prusse ; et tantôt, de sa main charitable, elle recueillait une demi-misère en mal d’opulence, et l’Italie était faite ; s’abandonnant aux généreuses rêveries de son empereur, la France affectait de s’oublier elle-même pour penser à l’humanité ; et quelques jeunes hommes entreprenans, qui commençaient à faire autour d’elle les empressés, lui chuchotaient à l’oreille, contre ses anciennes gloires militaires, l’ordinaire banalité des railleries « républicaines. » Thiers survint ; il imposa silence à ces jeunes hommes, qui derrière lui briguaient le pouvoir ; au