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dans les dernières années et que les importations en Chine ont augmenté plus que les exportations du pays. Il n’y a aucune raison pour que ce mouvement s’arrête, ni, en tout cas, pour que les Chinois cessent d’importer autant qu’ils exporteront. S’ils arrivent à nous fournir un certain nombre de marchandises que nous trouverons avantage à leur acheter, de notre côté, nous leur vendrons des quantités croissantes de nos produits. L’épouvantait de la main-d’œuvre à vil prix n’est pas sérieux ; le pays qui domine aujourd’hui le marché industriel du monde est l’Amérique du Nord, où les salaires atteignent en moyenne le double de ce qu’ils sont en Europe. Ce n’est pas de péril jaune qu’il faut parler, mais de débouché jaune ; il y a là des territoires immenses à exploiter, une clientèle innombrable à gagner pour notre commerce et notre industrie. Certes, la tâche n’est pas aisée, lorsqu’on a en face de soi des rivaux comme les Américains, les Allemands, les Anglais, sans compter les Belges et les Suisses : mais elle n’est pas au-dessus de nos forces. La France doit envisager sans inquiétude la révolution qui s’accomplit dans l’Extrême-Orient et se mettre en mesure d’en tirer les fruits auxquels elle a droit. C’est par des entreprises financières et industrielles, par la fondation de maisons de banque et de commerce, qu’elle opérera cette conquête pacifique, qui seule a des chances d’être durable. C’est ainsi que nous amènerons l’Empire du Milieu à s’organiser de façon à avoir un crédit supérieur à celui auquel il peut prétendre aujourd’hui et à présenter une solidité financière telle, que nos capitalistes pourront, sans témérité, lui confier leurs épargnes ; nous continuerons par là l’expansion de nos capitaux au dehors, expansion qui ne vaut pas celle de la nation elle-même colonisant et essaimant, mais qui a cependant le mérite de préparer les voies à ceux de nos compatriotes qui seront assez énergiques pour aller eux-mêmes surveiller et diriger sur place l’emploi de ces capitaux. Nous avons le plus grand intérêt à hâter de toutes nos forces l’époque où une Chine réorganisée nous montrera des finances saines et solides, et fera appel à un concours que nous aurons toutes les raisons de lui donner.


RAPHAËL-GEORGES LEVY.