Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 3.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sur les places, des piédestaux se dressent veufs de leurs statues ; des allégories de bois et de plâtre, débris des apothéoses révolutionnaires, s’effritent sous la pluie. Place des Victoires, place Vendôme, place Royale, dans les quartiers d’imposante architecture, des enseignes criardes bariolent les façades, rompent l’harmonie des lignes et détruisent l’ordonnance. Les demeures de noblesse et de haute vie, hôtels du faubourg Saint-Germain, hôtels du Marais, sauf ceux que la finance a sauvés en les accaparant, appartiennent aux industries de plaisir, aux ventes à l’encan, aux agences, au Paris spéculateur, charlatan, entremetteur. Toute chose est en dehors de sa place ; la Bourse se tient dans l’église des Petits-Pères ; un bal public, — le bal des Zéphyrs, — s’est installé dans le cimetière attenant à Saint-Sulpice. On voit des établissemens bizarres, des noms accolés qui jurent d’être ensemble : là-bas, dans la rue Antoine, on va créer une maison de refuge pour les victimes des faillites d’État, un hospice pour rentiers. Les hôpitaux placés sous l’invocation de vertus laïques manquent de ressources ; l’un d’eux a laissé mourir de faim quinze cents enfans assistés, et pourtant l’admirable institut de Valentin Haüy se soutient, l’œuvre de l’abbé Sicard survit à la proscription de son auteur ; à Beaujon, l’étranger s’étonne de trouver réunies toutes les ressources de la science, un progrès de bienfaisance, dû à cet élan d’humanité et à ce branle-bas d’activité généreuse que la Révolution a d’abord imprimés aux esprits. Mais les quartiers de cléricature et d’hospitalisation religieuse, la ligne de couvens qui s’adossait à la terrasse des Feuillans, la cité religieuse qui se blottissait à l’ombre de Notre-Dame, la Sorbonne, ses collèges, ses foyers de science ecclésiastique, et, par-delà les quartiers vivans de la rive gauche, les grands domaines de communauté, tout cela est livré à la démolition, aux fournitures militaires, aux entreprises de lucre hâtif et véreux, ou simplement au trop-plein de Paris, de ses sentines, de ses cloaques et de ses décombres ; des quartiers entiers se transforment en cités de brocanteurs ou en magasins de débarras.

Restons au centre. Sous le ciel de brumaire et de frimaire, sous le ciel de suie, les rues mal pavées, dépourvues de trottoirs, sillonnées en leur milieu par un ruisseau fétide, se faufilent tortueuses entre les maisons à façades d’un jaune sale, à pignons inégaux, à caprices d’architecture qui feraient la joie de nos