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un méandre sculptés par la main d’un ouvrier grec ; il n’arrivera jamais qu’un cerveau ou un cœur humain découvre, dans un de ses replis cachés, une pensée ou une émotion que l’humanité antique n’ait pas connue ou pressentie, exprimée, ou du moins indiquée.

L’Anglais. — Mais quel rôle, dans tout cela, attribuez-vous au christianisme ? ...

Moi. — Oh ! oh ! répondis-je en riant, nous sommes loin de la danseuse de marbre.

L’Anglais. — N’est-il pas facile de conclure, de vos propres paroles, que le christianisme a fait, de la culture méditerranéenne, la culture universelle ? Il a transmis à l’humanité tout entière, à la plus éloignée et à la plus humble, la tradition qui s’est constituée, par quatre mille ans d’efforts, sur les bords antiques de la mer aux flots bleus. Il a projeté la Syrie, la Grèce et Rome sur le reste de la terre. C’est maintenant un patrimoine commun. Vous n’en avez plus le monopole.

Moi. — C’est juste ; mais il nous appartient d’en conserver soigneusement les monumens et de rappeler sans cesse à l’humanité lointaine les doctes enseignemens et la tradition vénérable. L’éducation classique, que nous défendons, n’a pas d’autre objet que de répandre, sur le monde, le continuel rayonnement de la lumière méditerranéenne. Les peuples latins ont un devoir d’aînesse. La même nature qui a illuminé leurs pères les enveloppe de sa grâce éternelle. C’est d’ici que viendront longtemps les leçons illustres. Dans l’aube d’une journée divine, on verra, souvent encore, Astarté naître à la fleur des vagues, sur la mer aux eaux bleues.

L’Anglais se retourna. Il resta un instant en contemplation devant la Vénus de Nîmes qui occupe le milieu du musée. Puis, il remit à l’épaule son appareil photographique, qu’il avait déposé. Après un moment d’hésitation, il toucha son béret et, frappant du bâton la dalle, il sortit en boitant et se dirigea du côté des Arènes.

« — Pour un original, dit le gardien, c’est un original. Je n’ai jamais vu un Anglais si bavard. » Et il ajouta, en manière de conclusion : « Allons déjeuner ; c’est une matinée perdue. »


G. HANOTAUX.