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s’épanouit dans la lumière, comme le fronton des temples caressé par les feux adoucis du soleil couchant ? Rien ne prédestinait cet homme ; il n’avait pas de généalogie ; il n’avait pas de prophètes ; il n’avait pas eu, avant lui, une longue genèse d’aspirations et d’efforts, l’attente de tout un peuple en travail de son propre idéal. Il naît d’un sculpteur et fut quelque temps sculpteur lui-même ; il grandit sans histoire ; il épouse une femme acariâtre ; il vieillit, il devient chauve ; et, de ses lèvres, le bon sens, le goût, la sagesse, l’ironie douce, excitante et féconde, s’envolent comme des abeilles au sortir de la ruche. Il n’est pas d’histoire plus unie ; il n’en est pas de plus savoureuse. Elle aussi, a son drame final ; mais combien sobre et atténué. Il meurt, parce qu’il avait vu le vrai et le juste. Cela est dans l’ordre et ne trouble pas le monde. La grandeur du génie grec se mesure au sillon que la vie de ce bourgeois d’Athènes, chauve et bègue, a laissé dans l’histoire de l’humanité.

L’Anglais. — Oui, je me suis demandé souvent d’où venait cette force intime qui a porté la Grèce jusqu’à la perfection et Rome jusqu’à la domination. Pourquoi ceux-ci et non d’autres, et pourquoi, après eux, rien de comparable ?

Moi. — J’ai cherché du côté de la religion. Certes, l’émotion du monde vivant est toute frémissante dans leur mythologie. Quelle animation autour d’eux ! Tout vit. Tout respire. L’eau qui fuit laisse luire au pli de ses flots la chair fluide des nymphes ; l’arbre s’ouvre et l’hamadryade s’y blottit, tandis que le sylvain rit dans la feuillée. Si les nuages s’amoncellent et couvrent le ciel, ou bien s’ils se dissipent, s’atténuent et se résorbent dans l’azur, c’est qu’Eole a décharné l’Aquilon ou délié le Zéphir. La lune occupe le silence des nuits ; elle roule d’une course vagabonde sur les nuages que sa fuite diligente éteint ou éclaire alternativement : c’est Hécate, c’est Diane, dont la chasse éternelle poursuit le cerf parmi les abois des chiens et qui, dans le secret des clairières, verse sa lumière mystérieuse sur le sommeil d’Endymion. Au-dessus de ce monde animé, une pensée, une intelligence tient tout en équilibre : c’est Zeus. Il ne connaît pas le repos de la création unique et de l’œuvre achevée en une fois. Tant s’en faut, il est en lutte perpétuelle Tout le monde autour de lui, dieux et mortels, garde sa volonté, tout le monde lui résiste. Mais il l’emporte, parce qu’il a, sous son front, la sagesse, dans sa main l’éclair, et l’aigle à ses côtés.