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voyait se succéder, sur son vieux sol, trois âges millénaires, bâtisseurs de temples, d’obélisques et de pyramides. Alexandrie raffinait sur les enseignemens de l’antiquité et cherchait, dans le mystère des rites asiatiques, les nouvelles voies de la pensée et des religions humaines. La Chaldée avait encore Babylone ; Byzance prenait son essor, et l’on considérait comme des artistes de province les architectes de Palmyre ! La Grèce, enfin...

Moi. — Ah ! Monsieur, tout venait de la Grèce. Qui eût appris aux Romains l’honneur des arts, si la Grèce ne les eût répandus à travers le monde ? C’est par elle que les eaux méditerranéennes ont resplendi d’un éclat immortel, et qu’elles rayonnent encore, face à l’azur, d’une inaltérable beauté. D’autres ont peuplé des déserts, détourné des fleuves, aplani des montagnes et fouetté la mer. Mais la Grèce a découvert le parfait et l’a légué au monde. Les Perses, les Assyriens, les Mèdes, les Égyptiens, tout ce qui se perd d’énorme et de mystérieux dans le recul de l’antiquité avait travaillé, durant des âges, pour que ces petites républiques hellènes, — des sous-préfectures, — à l’étroit sur un sol rocailleux, vivant d’une olive, d’un verre d’eau et du blé de la blonde Gérés, rencontrassent la Beauté. On ne comprend rien aux choses humaines, tant qu’on n’a pas saisi comment une simple volute, ou moins encore, un méandre, une grecque sculptée, mais sculptée par un artiste grec, est définitive et irremplaçable. Pourquoi ces hommes ont-ils été les détenteurs uniques de ce secret ? Ils sont et seront à jamais les maîtres de l’humanité. Pourquoi ?

L’Anglais. — Oui, Monsieur, ce fragment devant lequel nous nous arrêtons nous révèle ainsi un monde évanoui, et pourtant éternel. Ce petit marbre contient toute la vaste énigme, comme six vers d’Anacréon nous dévoilent tout l’amour antique. J’ai souvent réfléchi à cette vivacité d’expression du génie des anciens. J’en ai cherché l’explication dans les livres, et je ne l’ai pas trouvée.

Moi. — Il n’y a guère que les anciens qui puissent nous éclairer. Un dialogue de Platon, une page de Xénophon nous initient à ces façons de comprendre, de sentir et de parler si franches, si simples et si pénétrantes. Et derrière ces écrivains, on aperçoit quelqu’un de plus grand et de plus divin encore : c’est Socrate. Celui-ci n’a rien écrit. Il s’est contenté de vivre, et sa vie est un admirable enseignement. Comment la sagesse humaine, dénuée de tout secours, sans l’aide divine et sans la grâce, a-t-elle pu s’élever jusqu’à ces sommets paisibles où elle