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Sans doute, elle apporte dans sa politique un esprit assez différent de celui d’autrefois. On a pu croire pendant quelques années, et en particulier pendant celles où l’influence de M. Crispi a été toute-puissante, qu’elle voyait en nous, par une véritable dénaturation de l’histoire, une sorte d’ennemi héréditaire. Obligés que nous étions de surveiller le danger que pouvait nous faire courir la Triple Alliance, c’est le plus souvent du côté de l’Italie que nos préoccupations se tournaient, parce que c’est là que se manifestaient les impatiences les plus vives et que semblaient devoir venir les premières difficultés. L’Italie était alors comme la pointe aiguë de la Triple Alliance, tournée contre nous. C’est là ce qui est changé, et probablement pour toujours. Mais l’Italie, tout en modifiant le caractère de sa politique, lui a conservé son orientation. Elle est toujours l’alliée de l’Allemagne et de l’Autriche, et, s’il lui arrive un jour de reprendre à leur égard toute sa liberté, il ne faut pas s’attendre à ce qu’une évolution aussi considérable s’accomplisse d’un seul coup. Peut-être s’apercevra-t-elle, lorsqu’elle établira le bilan d’une période écoulée de son histoire, qu’elle n’a pas gagné autant qu’elle l’avait espéré à s’être engagée à fond dans la Triple Alliance. Peut-être aussi reconnaîtra-t-elle que jamais on ne l’a plus ménagée que depuis qu’elle s’est rapprochée de la France, et jugera-t-elle dès lors que, même à ce point de vue particulier, son rapprochement avec nous n’a pas été sans avantages pour elle. L’exemple de la Russie n’est-il pas là ? La Russie a été autrefois l’alliée la plus intime de la Prusse, puis de l’Allemagne : elle a pu voir au congrès de Berlin à quoi cela lui avait servi. Depuis, elle s’est tournée d’un autre côté, du nôtre, et jamais elle n’a été l’objet de plus de soins et d’attentions de la part de l’Allemagne qu’après avoir fait cette évolution habile qui a placé si haut l’esprit politique de l’empereur Alexandre III. En ce moment, la préoccupation la plus pressante de l’Italie est celle qui résulte de la prochaine échéance des traités du commerce. On est inquiet à Rome, aussi bien d’ailleurs qu’à Saint-Pétersbourg, de l’esprit ultra-protectionniste qui souffle à Berlin, et, si les ministres italiens ne publient pas dans la presse officieuse des notes aussi menaçantes que M. de Witte, ils font certainement entendre des observations et des plaintes. Qu’ils se rapprochent au même moment de la France, rien n’est plus naturel ; et que la France profite des circonstances qui lui ramènent d’anciens amis, rien n’est plus légitime. Mais ce sont là des tendances nouvelles qu’il faut surveiller et faciliter, plutôt que des actes qui témoignent d’une résolution définitivement prise.