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l’ordre de leurs dates, une foule d’auteurs de mérites divers, en nous fournissant sur chacun d’eux des renseignemens biographiques d’ailleurs souvent curieux, et en y joignant quelques lignes traduites de leur œuvre. Son livre n’est pas une « histoire. » mais quelque chose comme une anthologie, un grand recueil d’extraits, toujours traduits avec beaucoup d’élégance, et précédés de jolies notices discrètement érudites. Mais du moins ne saurait-on souhaiter une anthologie plus complète, ni plus variée, ni plus instructive. Et tel est l’art avec lequel M. Giles a choisi ses anecdotes et ses citations qu’elles seules suffisent déjà à nous révéler quelque peu l’originalité propre de la littérature chinoise, et les grandes étapes de son évolution.


Elles nous font voir, en premier lieu, combien cette littérature, que nous croyions immobile, s’est constamment transformée et renouvelée, aussi bien au point de vue de l’inspiration qu’à celui de la forme. Et le plus curieux pour nous est peut-être que, se développant absolument en dehors de toute influence étrangère, son développement correspond d’assez près à celui de nos différentes littératures européennes. Elle débute par des mythes religieux et philosophiques, par des histoires qui ne sont encore que des épopées populaires, par des ballades, des complaintes, toute sorte de chansons à la fois naïves et alambiquées, comme celles que produisait notre moyen âge. Puis, dès le second siècle avant l’ère chrétienne, c’est la poésie qui devient le genre favori des auteurs et du public chinois : une poésie vraiment lyrique, pleine d’ardente passion et d’images pittoresques, une poésie que je ne saurais mieux comparer qu’aux sonnets des petits maîtres italiens et français de la Renaissance. Et cette poésie va s’affinant de génération en génération durant plus de huit siècles, jusqu’à ce qu’enfin, sous la dynastie des Tang (600 à 900 ap. J.-C), elle s’épanouisse en une abondante floraison de chefs-d’œuvre. Après quoi, sous les dynasties suivantes, elle se fane, se flétrit, se charge d’artifice et de déclamation. Le nombre des poètes ne diminue point, mais la qualité de leurs œuvres devient sans cesse plus faible. Et ce sont alors des genres nouveaux qui naissent et progressent : l’histoire et la critique littéraire, la philologie, toutes les formes de la littérature de vulgarisation, stimulées par la récente invention de l’imprimerie (960 ap. J.-C). Au XIIIe siècle, sous la dynastie mongole, nous voyons apparaître la littérature dramatique : et c’est aussi de cette dynastie que date la première apparition du roman. Mais, tandis que l’idéal du drame chinois se trouve définitivement constitué dès le XVe siècle, le roman chinois passe par