Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/938

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contemporain, et dans quelle voie devront s’engager les jeunes auteurs désireux de mériter quelque jour leurs éloges retentissans.

Au premier acte de la Veine, nous sommes dans une boutique de fleuriste. L’une des ouvrières, Joséphine, vraie gamine de Paris, a été suivie par un monsieur très chic. Le monsieur très chic, Edmond Tourneur, lui offre hôtel, chevaux, bijoux. C’est une affaire bâclée. D’autre part, la patronne, Charlotte Lanier, est follement amoureuse d’un monsieur pas riche qui habite la maison : c’est un avocat sans causes, du nom de Julien Bréard. Jadis séduite par un employé de la Place-Clichy qui l’a promptement lâchée, Charlotte depuis ce temps est restée sage. Julien Bréard lui offre d’aller faire dans sa compagnie une partie fine au Havre. En route pour le Havre !… Tel est donc le personnel qu’il appartient à la comédie moderne de nous présenter. Elle doit mettre en scène les trottins, les dames de comptoir énamourées, les fêtards millionnaires et les noceurs sans le sou, cette portion de l’humanité étant de beaucoup la plus intéressante. Quelles mœurs, quelles idées ont cours dans ce monde spécial et quel langage y parle-t-on ? Ce sont les questions auxquelles l’art, du théâtre a pour objet de répondre. Un pays aura d’autant plus le droit d’être fier de sa littérature dramatique qu’elle remplira davantage cet objet. Et au moins voilà un programme !

Le second acte sert à nous faire fier connaissance avec Julien Bréard. Ne dites pas que vous ne vous en souciez guère ; au théâtre, on ne choisit pas ses relations, et nous sommes forcés de subir celles qu’il plaît à l’auteur de nous imposer. Julien est cousu de dettes : mais puisqu’il ne les paye pas, c’est donc comme s’il n’en avait pas. Au surplus, il n’est pas de ceux qui se mettent martel en tête : il a une philosophie de l’existence ; il est convaincu que tout homme a son heure de chance et que la « veine » vient à lui sans qu’il ait besoin de se déranger pour aller au-devant d’elle. On sonne à la porte. C’est la chance. Elle se présente en la personne somptueusement nippée de Joséphine. Le richissime Edmond Tourneur a des affaires assez embrouillées où il y a gros à gagner pour un avocat ; Joséphine, qui n’est pas une ingrate, a, décidé que l’amant de son ancienne patronne serait cet avocat. Elle amène avec elle Edmond Tourneur : au bout de cinq minutes, les deux hommes se tutoient… Cela n’est guère vraisemblable ; mais c’est ici la part de la fantaisie. Cela n’est guère propre, mais n’en est, parait-il, que plus parisien. Il faut dans toute comédie un personnage vers qui volent tous les cœurs. Dans le drame romantique, c’était le jeune premier byronien : dans les comédies de Scribe,