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rois, et atteignait la pointe septentrionale du lac Rodolphe. Ainsi Ménélik fit, à l’époque même de l’arrivée de la mission Marchand à Fachoda, un grand effort militaire, et, même après le retour de ces expéditions, les Ethiopiens restèrent en force sur les premières pentes de leurs plateaux, à quelques marches du Nil : en novembre 1898, le capitaine. Mangin, envoyé par son chef en reconnaissance sur la rive droite du fleuve, rencontrait, vers le nord-est, sur les plateaux au sud du Nil Bleu, le dedjaz Domici, établi, avec une force de 15 000 hommes, dans une forte position sur le Yabous ; et il était en route, avec lui, vers Fachoda, quand lui parvint la nouvelle de la retraite définitive. Il est donc certain qu’au moment où fut décidé l’abandon de Fachoda, des forces éthiopiennes imposantes étaient en mesure et à portée de donner la main aux Français solidement établis sur le Nil.

Quand l’ordre d’évacuation fut venu et qu’il n’y eut plus d’espérance, le commandant Marchand et ses compagnons, remontant le cours presque inconnu du Sobat, tirent route, par Goré et Addis-Ababa, à travers les États de Ménélik. Par ordre du Négus, un accueil triomphal attendait les Français ; à la cour, ils furent comblés d’attentions et d’honneurs. Le sens politique très fin de l’empereur et son esprit ouvert aux grandes choses furent saisis d’admiration pour l’homme dont la pensée avait conçu et dont l’énergie avait exécuté ! une pareille entreprise. Jamais Européens n’avaient pénétré dans ses montagnes venant du mystérieux « pays des noirs » et des lointains rivages d’un océan inconnu, jamais hommes n’avaient triomphé de tant de fatigues et de périls pour parvenir jusqu’à lui. Ainsi le passage à travers l’Ethiopie, sur cette route dont ils avaient, d’un océan à l’autre, jalonné toutes les étapes, de ces vaincus d’une politique qu’ils n’avaient comme que dans la mesure où ils en étaient les victimes, accrut l’influence et le bon renom de la France.

Nos possessions africaines ne seront pas, sur le Nil, les voisines de l’Ethiopie ; à travers le continent noir, la grande voie franco-abyssine par Fachoda et Djibouti ne sera pas tracée : ainsi en a décidé le traité du 21 mars 1899. Cette convention ne délimite pas seulement deux domaines coloniaux ; en réalité, elle décide de l’empire de l’Afrique et elle en décide contre nous ; elle est désastreuse pour l’avenir de la France dans le continent noir : non pas qu’elle ne nous laisse d’assez vastes territoires, mais elle nous prive précisément des plus riches et des plus peuplés, ceux