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la cordialité de nos rapports d’amitié et d’échanges avec l’Ethiopie. C’est grâce à ce désintéressement manifeste, joint à l’accord évident des besoins économiques des deux pays, que nous avons obtenu quelque crédit auprès de Ménélik, qui a tant de raisons de tenir en suspicion les Européens.

Des liens très anciens unissaient la France à l’Ethiopie et spécialement à la famille du négus régnant. Dès 1842 Rochet d’Héricourt, envoyé spécialement par Louis-Philippe, concluait avec Sahlé-Sahlassi, roi du Choa et grand-père de Ménélik, un Irai té garantissant une protection réciproque aux trafiquans des deux nations. Cette convention, dont l’empereur aime à rappeler le souvenir, resta pratiquement sans effet, tant il était alors difficile de parvenir jusqu’aux plateaux abyssins. Mais, de ce moment, l’attention de la diplomatie française ne se désintéressa plus de ce qui se passait dans les parages de la Mer-Rouge et dans le voisinage de l’Ethiopie. A plusieurs reprises, le gouvernement, ou des sociétés privées, obtinrent la concession de points de relâche ou de comptoirs sur la côte de la Mer-Rouge et du golfe de Tadjoura ; c’est ainsi qu’en 1858, notre vice-consul à Aden, M. Lambert, négocia avec le chef Abou-Bekr l’acquisition du port d’Obok. L’assassinat de M. Lambert n’empêcha pas l’Arabe de tenir-sa promesse et de signer, en 1862, malgré les intrigues des agens britanniques, un traité qui cédait Ohok à la France moyennant 55 000 francs. Mais nos droits, formellement établis, continuèrent de dormir jusqu’à ce que le hasard des événemens vînt attirer l’attention sur ces côtes peu fréquentées. Des négocians français, qui trafiquaient sur la côte d’Obok, furent un jour, vers la fin de 1881, attaqués par des indigènes : bloqués dans une vieille bâtisse au bord-de la mer, ils réussirent, dans leur détresse, à faire passer à un navire, en route pour l’Europe, une lettre qui parvint au quai d’Orsay. C’était pendant l’éphémère éclat du « grand ministère. » Nos affaires étrangères étaient aux mains de Gambetta : on sait quelle haute et grande idée il avait de sa patrie, des devoirs que son passé et sa gloire lui imposent et de la place qu’elle doit tenir dans le monde ; il lui parut que la France, pour l’honneur de son nom. ne pouvait marchander à des Français, quels qu’ils fussent, en péril sur une terre étrangère, sa protection et sa sauvegarde ; un aviso, l’Ardent, qui croisait dans ces parages, reçut l’ordre de s’enquérir du sort de ces aventuriers et, s’il se pouvait, de les