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sonnets, les exemples de ce que j’ai appelé le bon et le mauvais euphuisme se succèdent avec une régularité désespérante. Dans le sonnet XXIII, l’amour est si ingénieux, qu’il entend avec les yeux[1]. Le sonnet XXIV va plus loin : l’œil du poète est peintre et les yeux de son ami sont des fenêtres qui permettent de voir le dedans de son âme. Lorsque le poète parle du « gentil larron » qui. dépouille sa misère, de factieuses comparaisons viennent à l’esprit, mais déjà, dans le sonnet suivant, nous remontons de Mascarille à Oronte :

Mon jour est une nuit quand je ne te vois point,
Et ma nuit est un jour lorsque tu l’as peuplée.

Nous rejoignons Benserade et Voiture avec ces vers, écrits après une rupture :

Pour toi j’irai jusqu’à me haïr désormais,
Car dois-je aimer celui que ton âme déteste ?

Et il me semble que nous les dépassons avec des vers comme ceux-ci :

Je songe que le Temps, assassin de l’Amour,
Me prendra mon ami dans sa rage insensée,
Et n’est-ce pas déjà la mort que la pensée
Qui fait pleurer d’avoir ce qu’on peut perdre un jour ?

Le retour graduel aux sentimens naturels et à l’expression simple et vraie de ces sentimens est marqué de deux manières : par les moqueries qu’il adresse à ses contemporains restés fidèles à l’euphuisme et par les moqueries, qu’il s’adresse à lui-même après être tombé dans les mêmes excès. Il devient alors son propre parodiste en même temps que celui des autres poètes. C’est comme un adieu ironique à l’école où il avait grandi, et cela rappelle, — toutes proportions gardées, — Mérimée composant la Guzla ou Musset jetant à la tête des romantiques sa Ballade à la Lune. Il est plus d’un sonnet qui commence par un subtil badinage et finit par quelque mot simple et grave, par un trait de juste sensibilité, qui vient du cœur sans avoir passé par l’esprit. Par exemple, après avoir platonisé et pétrarquisé sur

  1. Les métaphores ont leur destin. Nous trouvons simple que des yeux parlent et il nous semble bizarre que des yeux entendent !