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provocations se multiplièrent ; les colonies portugaises étaient sillonnées par des agens britanniques, et « la cavalerie de Saint-Georges » se répandait parmi les tribus noires ; le consul Johnston, accrédité à Mozambique auprès des autorités portugaises, dirigeait lui-même la campagne, il était fatal qu’un incident se produisît qui fournirait aux Anglais l’occasion désirée. Un jour le major Serpa Pinto poursuivit une bande de Makololos qui avaient attaqué, sur le duré, en territoire portugais, un vapeur de la Compagnie des Lacs, les dispersa et leur enleva des drapeaux anglais qui leur avaient été récemment distribués. Cet incident bizarre fut le signal attendu : immédiatement la presse se déchaîna contre le Portugal ; Serpa Pinto fut accusé d’une odieuse violation du droit des gens, d’une invasion des territoires de la Reine ; il se produisit dans l’opinion anglaise, excitée par les journaux, un mouvement comparable à celui qui suivit l’arrivée du commandant Marchand à Fachoda. Le Portugal tenta de négocier, de faire appel à la justice, de chercher des protecteurs et d’invoquer un arbitrage. Mais ses appels au bon droit, maigre ressource des faibles qui n’en ont pas d’autres, restèrent sans écho. Aucune voix ne s’éleva pour protester contre ce grand abus de la force. Le Foreign-Office lança, le 12 janvier 1890, un ultimatum d’une dureté singulière[1], en même temps que, de tous côtés, des croiseurs cinglaient vers les ports du Mozambique. Le cabinet de Lisbonne dut se résigner et conclure une convention provisoire où il cédait sur tous les points. Les pourparlers commencèrent pour un traité de délimitation définitif ; mais le Portugal ne gagna rien à ce répit ; bien au contraire, pendant les négociations, les agens de la Chartered pénétrèrent dans le Manica, y fondèrent Fort-Salisbury, dispersèrent la troupe du colonel Païva d’Andrade et envoyèrent les

  1. Il est piquant, au moment où, 1e Portugal et la Grande-Bretagne échangent des déclarations d’éternelle amitié, de rappeler le texte de cet ultimatum qui ne date que de onze ans :
    « Le gouvernement britannique désire et insiste pour que les instructions suivantes soient envoyées immédiatement, par télégraphe, au gouverneur de Mozambique. Rappelez aussitôt toutes les forces portugaises se trouvant actuellement sur le Chiré, ainsi que sur les territoires des Makololos et du Machona. Le gouvernement britannique est d’avis que, faute de cela, les assurances données par le gouvernement portugais sont illusoires, et M. Petre (le ministre anglais à Lisbonne) se verra forcé, conformément à ses instructions, de quitter immédiatement Lisbonne, avec tous les membres de la légation, s’il ne recevait pas, cette après-midi, une réponse satisfaisante. »