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constituant, celui qui distribue les autres sans les exercer. Pendant le Consulat provisoire, il paraît bien que Bonaparte tira peu à peu à lui l’autorité, mais il évita d’afficher sa prééminence, ménageant ses collègues, consultant, talonnant parfois, recherchant les collaborations et les avis, et, dans sa grande tâche ordonnatrice, il commença bien doucement.

La première chose à faire était de trouver des ministres. On s’en occupa dans la séance initiale, en procédant par remaniement plutôt que par transformation de l’ancien ministère. Trois ministres du Directoire furent d’abord maintenus ou plutôt renommés : Cambacérès, qui avait donné des gages sérieux à l’ordre nouveau, conserva la justice ; Bourdon fut laissé provisoirement à la Marine, Reinhard aux Relations extérieures, où il garderait la place à Talleyrand, qui préparait sa rentrée. Les ministres de la Guerre, des Finances et de l’Intérieur, Dubois-Crancé, Robert Lindet et Quinette, furent très poliment congédiés, avec des remerciemens et des lettres flatteuses. A la Guerre, Bonaparte fit mettre Berthier, son homme de confiance, incomparable agent de transmission et né chef d’état-major : « Les papiers dont il a la charge sont classés dans sa tête comme dans ses cartons[1]. » Un fonctionnaire de mérite éprouvé, Gaudin, commissaire du gouvernement près l’administration des postes, fut promu ministre des Finances : « Un bon praticien, disait Bonaparte, vaut mieux qu’un empirique[2]. » L’Intérieur réclamait un plus grand nom ; comme ce département avait dans ses attributions les arts et les sciences, on voulut voir si un savant de premier ordre pourrait faire un bon ministre : Laplace fut désigné. Il représenterait au pouvoir la science et la philosophie, le corps illustre dans lequel l’acte réformateur avait trouvé une assistance doctrinale et de hauts partisans. Brumaire avait été le coup d’Etat de l’Institut, qui l’eût d’ailleurs manqué sans l’intervention des grenadiers ; la nomination de Laplace fut la part donnée à l’Institut dans les profits de la victoire.

Il fallait un autre homme à la Police générale, le plus important ministère avec la Guerre, puisque à ce département ressortissaient le maintien de l’ordre intérieur, la direction à donner aux esprits dans toutes les parties de la République et spécialement dans la capitale. Depuis quatre mois, Fouché tenait

  1. Éclaircissemens de Cambacérès.
  2. Ibid.