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Nous ne pouvons pas finir sans dire un mot du prodigieux abus de l’affichage que la Chambre a fait à propos d’un discours de M. Bourgeois. M. Bourgeois lui-même, avec une pudeur un peu effarouchée, s’est défendu d’être affiché, et sans doute il était sincère ; mais ses collègues n’ont voulu rien entendre. Il s’agissait pourtant de peu de chose ! M. Bourgeois avait interrompu M. de Mun pour dire que, comme président d’une commission internationale de l’enseignement à l’Exposition universelle, il avait eu l’occasion de lire certains devoirs d’élèves des frères des Écoles chrétiennes, qui l’avaient affligé. Il a tenu à donner à la Chambre, sans doute pour l’affliger à son tour, lecture de ces devoirs. Nous n’en prendrons certes pas la défense : mais il est probable que, si M. de Mun avait fait partie de la même commission, et si on y avait lu les devoirs des élèves de l’enseignement officiel, il aurait pu, en cherchant beaucoup, en trouver quelques-uns que nous n’aurions pas pu approuver davantage. Les enfans ne comprennent pas toujours très bien ce qu’on leur dit, et il leur arrive, de l’exprimer maladroitement. Ils ignorent les nuances. M. Bourgeois a vu là des germes de guerre civile pour un prochain avenir, et il a montré avec effroi à la Chambre, — nous n’exagérons rien, — ces écoliers d’aujourd’hui descendant demain dans la rue avec le fusil de la guerre civile. L’exemple de M. Trouillot, qui a été élève des congréganistes, et de tant d’autres ! devrait pourtant le rassurer. Il a raconté que le jury international présidé par lui n’avait pas, à cause de ces devoirs, accordé son plus grand prix aux frères des Écoles chrétiennes. Cependant, il le leur a attribué dans les colonies, et leur a donné une médaille d’or en France. Il faut donc croire que le scandale de ces devoirs ne lui avait pas paru aussi intolérable qu’à la Chambre. Celle-ci a fait afficher, avec le discours de M. Bourgeois, les devoirs des élèves, le grand prix, la médaille d’or, tout à la fois : le lecteur s’y débrouillera comme il pourra ! Peut-être les Frères ne seront-ils pas fâchés de cette manière d’être punis. Mais quel a été le but de la Chambre en ordonnant cet affichage ? Elle a voulu dénoncer à la France entière un enseignement qui lui déplaît, et cela avec des devoirs d’écoliers. C’est employer un bien grand moyen pour faire de la bien petite guerre. Mais le sentiment est lui-même si petit !


Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
F. Brunetière.