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debout, de l’autre côté du cadavre, la figure toujours invisible, inclinait son sabre ensanglanté. Alors il mit ses deux mains sur la terre et se prosterna.

— …Je ne vous connais pas, mais vous m’avez sauvé à l’instant que j’étais perdu. Comment vous remercierai-je ? Je suis le fils de Shimizu Naôki, samuraï de Wakayama, et je m’appelle Naô Saburô. L’individu que voici avait nom Tsuruga Dennai. Il s’était lâchement enfui après avoir assassiné mon père. Grâce à vous, ma vengeance est accomplie. Mon prince saura le service que vous m’avez rendu, et, sitôt qu’il m’en aura donné la permission, je reviendrai vous voir et mettre à vos pieds toute ma reconnaissance. Faites-moi l’honneur de vous nommer.

Le samuraï mystérieux se découvrit et dit :

— Je vous félicite, Naô-san.

Ri Naô reconnut Imamurasaki.

— Est-ce vous, oïran ? Est-ce bien vous, déguisée en homme d’armes, vous qui m’insultiez hier soir, vous que j’avais décidé de tuer aujourd’hui même ?

— Ah ! Naô-san, répondit en souriant Imamurasaki, quand hier vous m’avez demandé d’allumer pour vous des baguettes d’encens, il me sembla que vous étiez déjà vaincu et plus qu’à moitié mort. Je n’ai voulu qu’aiguillonner votre courage. Mais à peine étiez-vous parti qu’un de mes hôtes, qui approuva mon dessein, me prêtait son costume, ses armes et, au besoin, son nom. J’ai marché tout le soir dans votre ombre, et jetais là, dissimulée derrière les pins, quand Tsuruga est arrivé au petit jour avec son domestique qui portait le baquet d’eau.

— Oïran, s’écria Naô, vous avez l’âme chevaleresque et ma vie vous appartient. Je supplierai mon prince qu’il consente à notre mariage, et, s’il refuse, je me ferai rônin pour vivre près de vous.

Il ne se fit pas rônin, car le Prince, dès qu’il eut ouï cette surprenante aventure, dépêcha au Yoshiwara un de ses intendans qui racheta la liberté ; d’Imamurasaki. Et, quand elle mourut, femme légitime et respectée de Shimizu Naô Saburô, on l’enterra dans le cimetière de Sosenji.

Le quartier d’Asakusa est excentrique et vaste. Les rues s’y élargissent en routes ; les maisons, entourées de jardins ou de lorrains vagues, s’y disséminent dans une plaine sans fin, la