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c’est lui sans doute qui me tuera, et pourtant on ne peut vivre sous le même ciel que son ennemi. » Je partis donc ; je marchai des mois entiers à travers le Japon ; je visitai la sainte Kyotô. Les mille ruelles commerçantes d’Osakâ me retinrent assez longtemps et nulle part je n’aperçus celui que j’enrage de trouver. Quelqu’un me dit alors qu’au Yoshiwara de Yedo, on avait bien des chances de rencontrer tous ceux que l’on cherchait. Vous savez maintenant, pourquoi j’y suis venu, oïran. Mais l’assassin de mon père continue de m’échapper et c’est peut-être qu’au pied du phare, il fait toujours plus sombre. Imamurasaki lui répondit :

— Je vous remercie, Xao-san, de la confiance que vous mettez en moi, et soyez sûr qu’à personne je ne toucherai mot de votre histoire. Mais ce Tsuruga dont vous me parlez, quel âge a-t-il ?

— Il avait trente-cinq ans lorsqu’il tua mon père : il doit en avoir quarante aujourd’hui.

— Vous m’avez dit qu’il est grand et gros ?

— Oui, c’est, un homme à la face rouge, au col épais, aux cheveux plantés bas sur le front.

— Pensez-vous qu’il porte encore la trace de sa meurtrissure ?

— Un prétend que, fortement frappée, la chair en garde l’empreinte.

— Eh bien ! Naô-san, croyez-moi, autant vous vaudrait puiser de l’eau avec un panier que de l’attendre ici. Votre ennemi ne doit pas venir tous les soirs au Yoshiwara, et, s’il a eu vent de votre présence, tenez pour certain qu’il s’en est éloigné. Il assurez-le d’abord en ne fréquentant plus le quartier des Fleurs. Yedo est vaste : pendant que vous en explorerez les rues et les faubourgs, Imamurasaki, heureuse de vous servir, cherchera pour vous en ces maisons de joie l’individu que vous lui avez signalé. Et, si le hasard la met sur ses traces, une lettre aussitôt vous en avertira.

— Je vous obéirai, dit Naô.

— Soyez prudent, répondit-elle.

Vous l’entendez ? Elle congédie le jeune samuraï et lui conseille de ne plus revenir. Ce n’est point la coutume des oïrans qui, toujours suspendues aux manches de leurs hotes, même de ceux qu’elles n’aiment guère, leur répètent en faisant des mines :