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empire va jusqu’à la mer, » disait déjà Théodoros. Et nous avons vu que Ménélik lui-même, dans sa belle lettre du 10 avril 1891 aux grandes puissances, indique, comme les frontières de ses États, le Nil et la Mer-Rouge. Mais, à l’est comme à l’ouest, ce n’est plus aujourd’hui des tribus musulmanes, voire des postes turcs ou égyptiens, que rencontrent les Ethiopiens, mais des établissemens européens. Ménélik, d’ailleurs, s’il considère comme essentielle à l’avenir de son pays l’ouverture d’une issue vers la mer, n’a pas l’ambition imprudente de faire des conquêtes le long des côtes où ses sujets ne sauraient s’acclimater et où il se heurterait aux Occidentaux. La revendication de cette frontière maritime, qui n’est pas, en dépit des apparences, la vraie limite géographique de l’Abyssinie, deviendra, semble-t-il, plus théorique que pratique, tandis que la libre disposition d’un double débouché maritime et fluvial s’impose, comme une nécessité de plus en plus urgente à mesure que le trafic de l’Ethiopie va se développant.

Pacifique par nature et par finesse politique, résolu à entretenir avec les colonies européennes qui l’avoisinent les meilleurs rapports, Ménélik paraît avoir renoncé à Massaoua et aux ports de la Mer-Rouge : récemment, les dernières difficultés de frontières ont été réglées entre lui et les Italiens ; une partie des plateaux du Tigré, une petite Etiopia irredenta reste aux mains des étrangers ; Ménélik, au lieu de consigner définitivement ses adversaires vaincus au pied de cette muraille de Chine que forment, autour de ses États, les rebords orientaux du massif abyssin, les a laissés prendre pied sur le rempart ; c’est un dangereux sacrifice qu’il a cru pouvoir faire au maintien de cette paix dont il a besoin pour réorganiser et pour « moderniser » son État. Mais ses dispositions conciliantes n’arrêtent pas le Négus, lorsqu’il s’agit de réduire à l’obéissance des peuplades échappées au joug éthiopien et de rendre à son empire son ancien éclat et son antique prééminence sur toutes les tribus voisines. Ménélik reprit énergiquement la croisade nationale contre les musulmans et la dirigea surtout vers le sud. En 1887, il conquit la ville très importante d’Harrar, que les Egyptiens avaient enlevée à Johannès, avec le pays très riche et, très fertile qui l’entoure ; puis il annexa le Kaffa, soumit les tribus gallas qui habitent au sud du Choa, et multiplia les expéditions dans la haute vallée de l’Omo, jusqu’au lac Rodolphe, et dans les plateaux de