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la France s’étaient réciproquement engagées à maintenir l’indépendance, deviendrait, elle aussi, italienne. Ainsi, dans l’orbite de la Grande-Bretagne, l’Italie grandirait par-delà les mers, elle donnerait son sang et son or sans compter ; mais elle deviendrait, en échange, une puissance africaine.


III

Aux insidieux desseins d’une politique envahissante qui, au mépris de vingt siècles d’histoire, disposait d’une nation constituée et cohérente, Ménélik répondit d’abord par l’affirmation solennelle de son droit : dans une lettre circulaire adressée aux grandes puissances, non seulement il proclamait la volonté de l’Ethiopie de ne relever que d’elle-même, mais il revendiquait ses limites historiques du Nil, de la Nubie, de l’Equateur et de la Mer-Rouge. Cette protestation officielle au nom de la justice ; resta naturellement sans effet, enfouie dans les archives des chancelleries. Mais, le 1er mars 1890, dans les gorges d’Adoua, Ménélik prouva qu’il avait, pour soutenir sa querelle, d’autres moyens et de plus décisifs. Près de 12 000 hommes tombèrent, toute l’artillerie et les bagages furent pris dans le désastre sans précédent de l’armée du général Baratieri, qui coûtait à l’Italie plus d’hommes que Novare ou Custozza. Les espérances coloniales des Italiens s’évanouirent en même temps que s’effondrait la politique mégalomane de M. C ispi. L’Ethiopie reparut sur les cartes de l’Afrique orientale : pour le moment, elle avait conquis le droit de n’être plus un objet de trafic international, un pays que l’on découpe et. que l’on partage à volonté. La paix, signée avec le cabinet di Rudini, reconnut l’indépendance entière des États de Ménélik : l’Italie ne garda, de l’empire qu’elle avait convoité, qu’un coin du Tigré et les côtes arides de la Mer-Rouge avec le port de Massaoua.

Il semble que la routine des chancelleries et la lenteur habituelle des hommes à percevoir les grands changemens qui se préparent autour d’eux parmi les peuples, tant qu’une éclatante manifestation n’est pas venue les révéler aux moins clairvoyans, aient, de nos jours plus que jamais, empêché les gouvernemens comme le public de voir venir et de deviner ces orages soudains qui ont brusquement bouleversé le ciel politique et déchiré les voiles derrière lesquels s’élaborait l’avenir. En 1866, la France et