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titre qu’elle mérite de nous intéresser et que nous voudrions ici rappeler son passé, étudier ses ressources et esquisser sa physionomie.


I

C’est grande pitié quand un peuple, après avoir creusé profondément dans l’histoire humaine le sillon de son action personnelle et poussé très loin sur le globe le rayonnement de son influence, vient à faillir à la tâche commencée et, impuissant à remplir le cadre trop vaste qu’il avait tracé à son activité, laisse à des ouvriers plus courageux ou mieux outillés le soin d’achever l’œuvre ébauchée. Le Portugal, dans l’histoire de la prise de possession du monde par les nations européennes, a été l’un de ces ouvriers de la première heure, dont le labeur s’épuise et dont la force faiblit avant l’heure des définitives moissons. Placé à l’extrême occident de l’Europe, il fut son pionnier sur les routes de l’Océan, comme ces petits bateaux qu’un amiral lance en avant des lourdes escadres pour éclairer la route et tirer les premiers coups, qui se replient quand vient le moment des engagemens décisifs, et que les bâtimens plus puissans écarteraient sans hésiter de leur chemin, s’ils avaient l’imprudence de s’y attarder. Il y a, dans les annales de notre Europe, un moment où le Portugal a montré les voies de l’avenir, et où sa gloire a couvert les océans. Vers la fin du XVe siècle, les marchands lusitaniens trafiquent sur toutes les côtes du vieux monde et de l’Amérique du Sud ; Covilham, par la Mer-Rouge, Vasco de Gama, par le cap de Bonne-Espérance, pénètrent dans l’océan Indien ; en même temps l’alizé porte naturellement d’autres capitaines vers les côtes du Brésil. Partout, le long de leurs routes de cabotage, les navigateurs portugais sèment des postes fortifiés et des comptoirs de commerce ; un immense chapelet de stations s’égrène tout autour de l’Afrique, de l’Inde, de l’Indo-Chine, de la Malaisie, se ramifie vers l’est jusqu’à Macao, en Chine et au Japon, et, vers l’ouest, jusqu’aux bouches du Rio de la Plata et du fleuve des Amazones. L’Océan Indien, l’Atlantique-sud sont des lacs portugais, comme le premier est aujourd’hui un lac britannique ; et les marins de Lisbonne et des Algarves ne vont pas seulement de rivage en rivage, troquant leurs marchandises d’Europe contre l’or ou les « épices ; » leur empire est aussi fondé sur la force :