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Or ce fut aussitôt et partout le même échec. La morale avait beau demeurer la même par ses préceptes de conduite ; depuis qu’elle ne les donnait plus pour les ordres du créateur à sa créature, mais pour les obligations de l’humanité envers elle-même, la morale avait perdu sa puissance persuasive. Peu d’instituteurs et d’institutrices avaient assez de force philosophique pour tirer d’elle une morale ; ceux qui comprenaient avaient le pressentiment qu’ils ne seraient pas compris de leurs élèves ; ceux qui essayaient de remplacer la simplicité du commandement divin par la multitude des raisons humaines sentaient glisser leurs paroles sur l’inattention des enfans. L’école sans Dieu devint l’école sans morale.

Sept ans après la réforme, l’Exposition de 1889 sembla une opportunité solennelle pour célébrer le progrès dont la démocratie était le plus fière. Sur l’état de l’éducation dans les écoles primaires, des rapports furent demandés aux inspecteurs d’Académie, aux inspecteurs primaires, aux directeurs et directrices d’écoles normales. L’analyse en fut faite par M. Lichtenberger, doyen de la faculté de théologie protestante de Paris. Après avoir constaté que l’éducation morale était ou absente ou tentée sans confiance par les maîtres et sans profit pour les élèves, le rapporteur ajoutait : « La séparation de l’enseignement moral et religieux paraissait et paraît encore, à beaucoup d’esprits même parmi les meilleurs, une tentative frappée de stérilité. Ils estiment que l’éducateur, surtout lorsqu’il s’agit des classes populaires, n’a pas le droit de se priver du secours que lui offre la religion, ce frein intérieur qui dispense de tout autre frein.

Quatre ans après, un des hommes qui avaient le plus énergiquement soutenu les lois Ferry, M. Spuller, devenu à son tour ministre, disait aux représentons de l’enseignement primaire : « Il reste une autre part de la tâche, très grande et très difficile, la plus difficile de toutes à parachever, je devrais presque dire à entreprendre sérieusement et résolument : c’est Pieuvre morale. » Et M. Pécaut, résumant ses travaux d’inspection, écrivait de l’enseignement moral « qu’il est encore embryonnaire,… qu’il recherche à tâtons sa loi,… qu’il fait son noviciat[1]. »

Il ne faut pas croire que ce résultat ait été accepté, par le scepticisme indifférent des novateurs. Rien de plus attentif, de

  1. Le rapport a paru dans la Revue bleue, le 2 mars 1895.