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défini l’école qui se préparait par de pareils maîtres, « l’école sans Dieu[1]. »

La sollicitude de tenir la conscience à l’abri de tout sentiment religieux fut en effet la préoccupation constante des deux penseurs chargés de donner l’enseignement aux hommes et aux femmes. Ils ne différaient que par l’expression d’un zèle égal. M. Buisson avait la négation plus âpre, plus résonnante d’échos politiques, elle se précipitait pour submerger l’erreur religieuse dans le cours torrentueux de la raison humaine. Cette véhémence était du moins faite pour entraîner les instituteurs, déjà exposés à trouver dans le commencement de leur savoir la fin de leurs croyances. M. Pécaut, sans discussions, sans efforts, éliminait de son enseignement l’idée religieuse, comme ces sables d’aspect inoffensif qui engloutissent dans leur apparente immobilité et font disparaître dans leurs profondeurs tranquilles tout ce qui se hasarde à leur surface. Et, avec les jeunes filles, plus attachées aux traditions pieuses, mieux valait enlizer la foi que la combattre.

En voyant ces maîtres si occupés à défendre la jeunesse française contre les influences religieuses, on a cru que cette mission absorbait toute leur pensée et que, s’ils ne travaillaient, pas à détruire la morale, ils ne s’occupaient pas d’elle. La vérité est tout autre, à la fois plus honorable pour les intentions des hommes, et plus décevante pour leur œuvre.

Il suffit d’étudier les pensées répandues par M. Buisson dans des discours, des articles de journaux, des études pédagogiques ; il suffit de lire les leçons professées par M. Pécaut, et sa correspondance avec ses anciennes élèves, pour reconnaître que l’incrédulité envers Dieu n’avait amené ces penseurs ni à l’indifférence envers l’avenir, ni à l’incertitude sur le devoir. Peu d’hommes ont habité plus loin de la matière, de ses joies et de ses avilissemens. Ils ont une sollicitude constante, anxieuse, émouvante d’accroître en eux et chez les autres la dignité humaine. Dans les négations auxquelles ils tiennent davantage, règne comme une mélancolie que la conscience de leur raison ne leur permette pas d’étendre leur certitude hors de ce monde. Dans le court espace de vie présente où elle les confine, leur idéal

  1. « On peut affirmer sans exagération que, depuis 1882, l’école laïque publique est, à peu de chose près, l’école sans Dieu. » M. Devinat, directeur de l’École normale du Rhône, membre du Conseil supérieur de l’Instruction publique. Revue de l’Enseignement primaire, 25 octobre 1894.