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Car le mandataire d’un peuple qui croit à Dieu et à l’âme n’a pas à transiger ni à se taire, comme s’il possédait sur ces doctrines une autorité propre ; et sacrifier l’opinion d’une majorité immense à l’avis d’une imperceptible minorité, c’est, au nom de la liberté de conscience, prendre, avec la conscience, la moins excusable des libertés. Mais, admis le sophisme, il devenait logique de conclure que les religieux étaient, par leur foi même, inaptes à cette neutralité, et de les déclarer inaptes à l’enseignement, dans les écoles publiques, Ce fut fait par la loi de 1886.

Que tant de scrupule pour l’indépendance de toutes les doctrines succédât si vile à la tentative d’imposer par l’Etat l’unité aux esprits ; que la diffusion du savoir commençât par des fermetures d’écoles ; que des protestations de tolérance religieuse précédassent des tentatives intolérantes contre l’action catholique, tout cela sentait la contradiction et la fausseté.

Ce qui était vrai, c’est que le parti parvenu au pouvoir y apportait, outre un nouveau gouvernement, une doctrine nouvelle sur la nature de l’homme. Ils croyaient usé le catholicisme : c’est pour le combattre dès l’enfance et l’éliminer de la société moderne qu’ils voulaient instruire la France. Et tout enseignement leur semblait utile ou funeste selon qu’il apportait aide ou obstacle à leur conception de la vie. L’école la plus experte à donner à l’homme toutes les autres sciences était à détruire, si elle lui refusait la vérité sur sa destinée. Qu’était le dommage de diminuer les foyers scientifiques et peut-être la diffusion de connaissances utiles aux divers détails de la vie, comparé à l’avantage de répandre sur cette vie tout entière une lumière directrice ? Pas plus que les Pères de l’Eglise quand ils fermaient les écoles du paganisme, pas plus que les humanistes de la Renaissance quand ils imposaient silence à la scolastique du moyen âge, pas plus que les philosophes du XVIIIe siècle quand ils dispersaient les trésors du savoir amassés par le catholicisme, les libres penseurs du XIXe siècle n’hésitaient à supprimer les concurrences à une doctrine tenue par eux pour vérité. Ils rompaient le compromis que Napoléon avait fait entre les croyances. Ils étaient, ramenés par la violence des leurs à vouloir pour elles seules toute la place. Une fois de plus s’appliquait la loi de la logique et de l’histoire : l’intérêt de l’enseignement était sacrifie à l’intérêt de l’éducation. Que les champions bruyans de la liberté fissent appel à la force contre toute dissidence, c’est la