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françaises. Galen, libre de toute entrave, va pouvoir enfin sans contrainte donner l’essor à son génie.

Rendons-lui la justice qu’il ne perd pas son temps en hésitations superflues. De longue date une idée le hante et le travaille : mettre la main sur la ville de Groningue[1], un des grands centres commerçans dont la Hollande tire sa richesse. Comme son avidité, son orgueil y trouvera son compte. Ce sera la « grande entreprise » qu’il rêve depuis le début de son règne, celle qui doit du moine coup éterniser son nom et faire couler le Pactole dans ses coffres. Dès le 19 juillet, il mande à Cœvorden l’électeur de Cologne et l’évêque de Strasbourg ; un grand conseil de guerre se tient entre les trois prélats. Le projet de Galen y soulève de graves objections[2] : les défenses de la ville sont fortes, la garnison fidèle et résolue, la bourgeoisie nombreuse et rompue au métier des armes ; le gouverneur, Charles de Rabenhaupt, passe pour un homme déterminé ; enfin, l’étendue de la place, coupée par un large canal, rend l’investissement difficile et le bombardement d’une efficacité douteuse. Mais Galen a réponse à tout : les bourgeois, assure-t-il, sont divisés entre eux, les troupes hollandaises « fort méchantes, » les officiers « poltrons, » et l’exemple des autres villes, qui toutes se sont rendues « par peur, » laisse aisément prévoir ce qui se passera pour Groningue. Galen, d’ailleurs, a fait le vœu « d’y célébrer la messe le jour de la Saint-Louis ; » son honneur personnel, aussi bien que « la gloire de Dieu, » sont intéressés à ce siège. Comment ne pas se rendre à de tels argumens ? Les évêques, le lendemain, campaient sous les murs de la place, avec leurs armées réunies qui s’élevaient à 22 000 hommes. Le roi de France, pour ménager Galen, adjoignit à ces forces un petit corps de quelques centaines de chevaux, sous la conduite du marquis de Renel[3], qui parut peu flatté du métier qu’on lui imposait : « Je sais bien, écrit-il d’un ton rechigné[4], que, ne m’ayant pas demandé mon avis pour venir ici, je ne dirai pas ce que j’en pense ; et je me contenterai de faire, le mieux qu’il me sera possible, ce qu’on m’ordonnera. »

  1. Chef-lieu de la province du même nom, à l’extrémité N. -E. des Pays-Bas.
  2. Note envoyée à Louvois par l’évêque de Strasbourg, juillet 1672. Arch. de la Guerre.
  3. Louis de Clermont d’Amboise, marquis de Renel, lieutenant général, tué au siège de Cambrai le 11 avril 1677.
  4. Août 1672. Arch. de la Guerre.