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combattu le renvoi de M. Déroulède devant la Haute Cour ce qu’ils pensent désormais de la question. Quant à nous, nous continuons d’en penser ce que nous en pensions naguère. Loin de nous convaincre de la réalité, ou du moins du sérieux de son complot, M. Déroulède, par le discours de Saint-Sébastien, achève de nous faire croire que beaucoup de choses se sont passées dans son imagination. Il a eu certainement la volonté d’ourdir un très noir complot, et il s’est livré à tous les gestes propres à lui donner la sensation qu’il le faisait en effet ; ses intentions ont été à cet égard aussi claires que possible ; mais ce qui est moins clair, c’est que la république actuelle ait couru réellement un danger. D’après le récit de M. Déroulède, il a suffi que le gouvernement, averti la veille au soir de ses projets, ait modifié quelques dispositions dans la journée du lendemain, où devaient avoir lieu les obsèques du président Faure, pour que l’échafaudage de ce complot, si bien machiné s’écroulât d’un seul coup. Si le gouvernement d’alors a atteint ce résultat à si peu de frais, et sans causer la moindre émotion au public, qui ne s’est douté de rien, il mérite d’être félicité. Nous nous rappelons parfaitement cette journée des obsèques de M. Félix Faure. Il faisait beau. Tout Paris était dehors. La tranquillité, la sécurité, la sérénité étaient profondes. C’est seulement le soir et le lendemain qu’on a appris l’échauffourée de M. Déroulède : on en a un peu ri, nul n’en a éprouvé la moindre inquiétude, l’opinion n’a pas cru qu’il valût la peine de se fâcher. M. Déroulède, d’accord sur ce point avec le ministère actuel, cherche à nous inspirer rétrospectivement la peur que nous n’avons pas éprouvée sur le moment : il n’y parviendra pas. L’affaire devait échouer comme elle l’a fait. Elle ne méritait certainement pas qu’on la déférât, longtemps après, à une juridiction aussi extraordinaire que celle de la Haute Cour. Mais, si tout le monde le croyait comme nous, le ministère perdrait beaucoup de son prestige auprès de ceux qui lui attribuent l’honneur d’avoir sauvé la République parlementaire. M. Déroulède vole donc au secours du ministère ; il lui donne raison ; il le justifie sur tous les points. Aucun des amis de M. Waldeck-Rousseau n’aurait pu le servir aussi bien.

Quant à la querelle particulière de M. Déroulède avec le parti royaliste, nous en parlerons peu, et cela pour des raisons que tout le monde comprendra. M. Déroulède a raconté que, la veille de l’exécution du complot, quelqu’un lui a demandé ce qu’il ferait si le duc d’Orléans apparaissait subitement à ses côtés. « Je lui mettrais moi-même la main au collet, » a-t-il répondu. Le lendemain, jour des obsèques, M. Déroulède a constaté que l’ordre et la marche du cortège officiel