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femme. — La conjuration a été découverte, Guillaume d’Orange, à son entrée dans Bruxelles, va être écrasé ; il ne peut échapper, car le signal, un carillon joyeux, va être donné par le sonneur Jonas. Les cloches tintent. Ce n’est pas le carillon, c’est le glas. Guillaume est sauvé ! — Les conjurés ont été trahis. Par qui ? Il y a un traître. Quel est ce traître ? Karloo voit peu à peu se circonscrire le cercle de ses recherches. Ce traître est une femme. Cette femme est celle qui a un sauf-conduit pour la porte de Lille. Et la femme qui a un sauf-conduit pour la porte de Lille, celle qui a livré les conjurés, celle qu’il a fait le serment de tuer, c’est la femme qu’il aime, c’est Dolorès ! — Le moyen de s’ennuyer ? On va jusqu’au bout, bon gré, mal gré, haletant et la gorge sèche.

A une action si bien machinée, il faut des personnages d’une fabrication spéciale. C’est d’abord le vieillard généreux. Sa tête blanche a soixante ans, mais son cœur en a vingt. Il aime éperdument une indigne. Vieux lion qui rugit encore, mais qui ne mord plus, il menace de tuer tout le monde et ne fait de mal à personne ; et comme on comprend que son héroïsme continu exaspère les nerfs d’une femme jusqu’à la rendre follement méchante ! — Le jeune premier fatal ; fatal à ses amis, dont il cause tout le mal, et fatal à sa maîtresse, qu’il tuera. Un jeune premier romantique ne peut s’empêcher de tuer la femme qu’il aime, et c’est la preuve suprême qu’il puisse lui donner de son amour. — Le traître, dont le rôle peut être avantageusement tenu par une femme : Milady des Trois Mousquetaires ou Dolorès de Patrie. — Le Croquemitaine, maniaque de meurtre, affamé de chair humaine, altéré de sang : La Richelieu de Marion Delorme ou le duc d’Albe. Ajoutez quelques figures de second plan : la jeune mourante, le spectacle de l’agonie d’une jeune fille étant très propre à toucher les cœurs les plus durs ; l’humble héros, mi-parti de comique et de sublime ; l’homme d’esprit, qui promène à travers la pièce son impertinence et son inutilité bavarde. Tous ces personnages sont diversement amusans, sauf un : le dernier. Pourquoi M. Sardou ne nous a-t-il pas fait grâce du spirituel La Trémouille ? Mais c’est qu’alors son drame eût été moins complet, moins significatif du genre.

Entre les acteurs du drame les rapports sont déterminés d’avance par les nécessités de l’antithèse. Rysoor est vieux, il est calviniste, il est Flamand ; Dolorès est jeune, elle est catholique, elle est Espagnole. Karloo qui aime Dolorès, c’est la loyauté qui aime la trahison. Le duc d’Albe a l’âme d’un bourreau, doña Raphaële est pitoyable et tendre. Par une correspondance mystérieuse, les cruautés du père ont un