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La gaieté et le sourire de ces gens qui viennent de perdre un des leurs est vraiment une étrange chose. Ils ont le culte de leurs morts, leur joie n’est qu’une forme de leur politesse ; c’est aussi, selon leurs idées, une dernière marque d’affection qu’ils témoignent au défunt. Sur un mur on voit les photographies des chapelles ardentes, de la mère de la défunte et de quelques pareils, devenues de précieux souvenirs pour les survivans.

Mon compagnon, qui avait beaucoup étudié les Siamois et circulé dans l’intérieur du pays, prétendait que leurs sentimens de famille sont très vifs. Il me disait avoir rencontré, dans une de ses étapes, une maison dans laquelle l’odeur pénétrante des goyaves et tous les parfums de l’Asie ne parvenaient pas à masquer l’intensité de celle qu’exhalait le cadavre. Par devoir, un vieillard couchait depuis un an au pied du cercueil de sa femme qui, pour une cause quelconque, attendait encore d’être brûlée. Selon les lois de l’hospitalité, mon compagnon avait été invité à coucher dans cette chambre funéraire, honneur qu’il s’était d’ailleurs empressé de décliner, pour passer la nuit dans son bateau amarré à la berge ; mais les exhalaisons de la maison allèrent jusqu’à lui, si bien qu’il en fut malade.


Un joyeux dimanche, je partis avec la colonie française pour Bang Pa In, la plus charmante résidence du roi de Siam, sur un grand et beau bateau-maison tiré à la cordelle par un petit canot à vapeur. Nous étions assis à l’avant, bien à l’ombre, et nous respirions gaiement l’air frais du malin.

Faut-il redire encore les charmes de la jolie rivière, des pittoresques pagodes, des gentils pontons à pavillons qui les précèdent ? Faut-il parler des canots qui passent et des grands trains de riz qui descendent, composés de 30 et 40 grands sampangs traînés par un remorqueur ? Ce n’est encore que la première récolte, dans deux mois, ils descendront par centaines. Viennent aussi les longs trains de teck qui suivent le fil de l’eau.

On dit le teck du Siam meilleur que celui de Birmanie et le plus apprécié vient des principautés laotiennes de Xieng-Mai et de Lakhon. Le teck n’offre vraiment une belle végétation que vers le 18° de latitude jusqu’au-dessus du 20°. Sa feuille est large et arrondie. Les arbres atteignent de 25 à 30 mètres de hauteur et mesurent une épaisseur d’un mètre à 1m,30 à quelques mètres au-dessus du sol. On compte de soixante à