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elles ne sentent point le besoin d’aller et venir ; ne connaissant pas les douceurs de l’indépendance, elles ne s’en préoccupent point, et leur vie s’écoule ainsi sans histoire. Évidemment cette existence nous serait odieuse, mais peut-on dire que ces femmes soient malheureuses ?

Ce qui se passe chez le roi se répète, sur une échelle plus modeste, dans le palais de chacun de ses frères et demi-frères. Le roi Mongkut avait laissé soixante-quinze enfans dont une quarantaine de garçons. Il ne reste plus aujourd’hui qu’une vingtaine de fils, tous pourvus de grasses prébendes, grâce à la munificence de Chulalongkorn. Rompant avec les traditions en matière administrative, il a appelé ses frères à diriger les différens départemens ministériels ; mais, comme il y a plus de candidats que de places, il s’ensuit que chacun d’eux intrigue, se démène et fait intervenir au besoin les dames du harem pour emporter d’assaut la faveur royale. Pendant plusieurs années, le prince Devavongse, ministre des Affaires étrangères, demi-frère du roi et frère de père et de mère des trois principales reines, a tenu le premier rang parmi les favoris, plutôt par suite de la situation de ses sœurs que par le fait de ses remarquables capacités. Puis, ce fut le prince Savasti, autre frère du ministre des Affaires étrangères et des reines. Ses façons d’agir envers le souverain pendant son voyage en Europe en 1897 le tirent mettre à l’écart ; mais ses sœurs sont puissantes et il reviendra en faveur. En attendant, le favori actuel paraît être le prince Damrong, ministre de l’Intérieur.

Tous ces princes, dont la plupart sont venus en Europe, sont certainement moins distingués que leur royal frère et maître. Sa Majesté Chulalongkorn, sans être un bel homme, a de la prestance et une grande dignité. Sa physionomie, ouverte et douce, a je ne sais quoi qui plaît et inspire la sympathie dès le premier abord. Aussi a-t-il produit la meilleure impression dans les cours d’Europe. Comme tout monarque oriental, il aime le faste et la parade ; sa cour est des plus brillantes ; les fêtes qu’il donne au palais sont magnifiques et il y dépense des sommes considérables. On le dit très intelligent, très érudit, très versé surtout dans les langues sacrées de l’Inde, les écrits bouddhiques, et même dans la littérature européenne. Il serait également polyglotte ; mais en réalité, en dehors de l’idiome de son pays, il ne parle que la langue anglaise. Jusqu’à ces dernières années, il se