Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/403

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par les traditions ; c’était le Vang Na ou second roi. Intronisé en même temps que le premier roi par le régent, il devait régner en commun avec lui comme avaient régné leurs pères Mongkut et Phra Pin Klas, qui étaient frères. Mais la mésintelligence ne tarda pas à les séparer. Leurs rapports devinrent si tendus qu’il y eut brouille complète en 1875. Craignant pour sa vie, le Vang Na se réfugia à la légation d’Angleterre et demanda l’intervention du gouverneur de Singapour. Celui-ci, qui était alors sir Andrew Clarke, vint à Bangkok et réussit à arranger les choses. Bien que le compromis fût plutôt en faveur du premier roi, le second roi l’accepta et rentra dans son palais ; mais si, dans la suite, il parut dans les cérémonies publiques, tison rang, à côté de son cousin, ce fut pour exécuter le contrat intervenu, rien de plus. Cette situation ne se dénoua que par la mort. Le monarque, âgé d’une quarantaine d’années, succomba en 1886 à une maladie de langueur ; et on ne manqua pas, à cette occasion, d’attribuer cette fin prématurée à un poison subtil. Débarrassé de son héritier présomptif, auquel il fit des funérailles plus que médiocres, Chulalongkorn s’empressa de proclamer la suppression de la charge historique de « Vang Na » et de faire entrer dans ses coffres l’immense fortune laissée par le défunt. Les courtisans applaudirent, mais insinuèrent que le roi, maître absolu, devait songer à l’avenir du royaume et le mettre à l’abri de toute agitation lorsque s’ouvrirait sa propre succession. Pour cela, il devrait désigner lui-même un héritier présomptif. Et pourquoi ne pas imiter après tout ses cousins d’Europe ? Chulalongkorn ne se lit pas trop prier, car, dès la fin de 1886, il avait désigné, comme Dauphin, le fils aîné de la première reine, un enfant de onze ans.

On se rappelle encore à Bangkok les fêtes splendides qui furent données à l’occasion de l’intronisation du jeune prince ; elles durèrent huit jours. Des échos qui m’en sont parvenus, j’ai retenu le récit de la cérémonie de la consécration comme particulièrement caractéristique. Elle indique combien les croyances brahmaniques sont encore vivantes chez ce peuple converti au Bouddhisme à la surface seulement. La cérémonie eut lieu sur le Ménam ; une construction flottante richement décorée y avait été aménagée. Pendant tout le mois précédent, des pirogues, disséminées en aval et en amont, montées par des soldats vêtus de costumes anciens, veillaient jour et nuit pour écarter du lieu