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sur la naïveté de ses lecteurs épris du merveilleux, il leur a présenté un bouddha tellement plaqué d’or que sa possession « paierait les frais d’une guerre. » Il est vrai qu’à cette époque (1867), la gigantesque statue était encore toute neuve, tandis que maintenant sa peau s’est écaillée ; j’en ai eu un morceau aimablement offert par le gardien. J’ai souri en constatant que ce revêtement était formé d’une épaisse couche de laque sur laquelle on a appliqué une mince, très mince lamelle d’or. Néanmoins, l’idole a grand air. Ses pieds surtout sont remarquables : on y voit incrustés, en nacre du plus beau reflet, les 108 figures de la mythologie bouddhique décrites par Alabaster dans son livre The Wheel of the Law (la Roue de la loi). Des cercles concentriques, également en nacre, se trouvent sous ses pieds, tels ceux qui ornaient la plante des pieds de Çakya Mouni et distinguaient ce saint personnage des autres humains.


Le lendemain de mon arrivée à Bangkok, dès l’aube, un aimable négociant veut bien être mon guide et me faire visiter dans la cité indigène cet immense bazar du « Sam Pheng » qui se prolonge sur plusieurs kilomètres. Le « Sam Pheng » est une longue et étroite rue, sur laquelle s’embranchent sentiers, ruelles et passages, et dans laquelle on ne circule qu’à pied.

Nous laissons la voiture près d’une grande église, œuvre d’un ancien zouave, le R. P. Desalles, commencée il y a peu d’années avec quelques ticaux[1], et dont le clocher, aujourd’hui, domine la ville, non sans avoir causé, de ce chef, certain déplaisir aux Siamois. Elle a été construite sans architecte, grâce à l’intelligence et à la persistance du bon Père, qui a quêté partout, glané les tuiles, les pavés, voire les pierres du roi, dans les ruines de je ne sais plus quel bâtiment royal voisin et abandonné.

On est toujours étonné, quelque habitude qu’on en puisse avoir, de ces véritables miracles de la Providence, qui permettent à des hommes, modestes pour la plupart et sans nuls moyens, de trouver en lointain pays, où la mère patrie les abandonne tout comme en pays français, le moyen de faire des œuvres si grandes. Ils arrivent à se procurer des ressources inattendues chez leurs chrétiens et même chez les païens, et ils sont,

  1. Monnaie d’une valeur d’environ 1 fr. 60.