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et c’est acquérir un immense mérite que d’élever des temples à Bouddha. Or, ces sortes d’indulgences étant strictement personnelles, il s’ensuit que les pagodes élevées par les ascendans ne sont plus entretenues par les descendans, ceux-ci ayant à penser à leur propre salut. C’est ce qui explique la décadence rapide de tous les monumens bouddhiques. Au reste, le bouddhisme étant plutôt un système philosophique qu’une religion, les bonzes sont moins des prêtres faisant de l’apostolat comme les ministres de toute religion, que des moines cherchant, à l’ombre du cloître, dans le célibat et l’abstinence, l’acheminement vers une vie meilleure. Les pagodes sont, de la sorte, des monastères à l’usage exclusif des bonzes qui se réunissent pour psalmodier la doctrine bouddhique en des temples élevés dans l’enceinte de ces pagodes. Il ne s’y fait aucune prédication, ni cérémonie quelconque pour les fidèles, comme dans nos églises. Un seul enseignement leur est offert une fois par semaine, dans un sala, sorte de caravansérail, construit en dehors de l’enceinte de la pagode, pour abriter les voyageurs. Un bonze y fait une lecture des livres bouddhiques, et hommes et femmes sont admis à écouter la parole sacrée. Les bonzes, sont en réalité, les seuls éducateurs, et l’unique instruction consiste dans la lecture et l’étude des livres bouddhiques. De ce fait que l’étude de la doctrine du Guadama, le Bouddha birman, est la porte qui ouvre sur une vie meilleure, le chemin qui conduit au perfectionnement de l’être, il s’ensuit que tout bon bouddhiste doit passer par la pagode, séjourner plus ou moins dans les monastères qui en dépendent, en vue d’atteindre le but suprême de l’existence. Aussi les robes jaunes[1] sont-elles nombreuses dans les pays qui professent cette croyance, et, au Siam, les bonzes sont légion. On trouve parmi eux, confondus dans une même égalité, les fils de princes et de dignitaires comme les humbles paysans, cultivateurs de rizières. Le roi lui-même ne fait pas exception. Sa Majesté Chulalongkorn a, en effet, passé trois jours à la pagode, la tête et les sourcils rasés, dépouillé de ses insignes et revêtu de la robe jaune. J’ai vu une ancienne peinture le représentant ainsi.

La vie monastique est donc en grand honneur au Siam ; les bonzes y sont plus respectés que dans l’Annam et la Chine, parce que, plus fidèles à leurs vœux, ils suivent plus rigoureusement

  1. À Kandy, dans l’île de Ceylan et au Tibet, les bonzes portent la robe rouge.