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UNE VISITE À BANGKOK.

nent sans séduire. L’œil du voyageur d’Europe, habitué à la vérité des lignes de nos monumens, à leur harmonie à la discrétion du décor, se trouve vite lassé d’une profusion dans laquelle il ne voit que l’intensité et la matérialité du labeur. Néanmoins, cet art est siurprenant et laisse une impression d’esthétique spéciale difficilement définissable.

Le Vat-Phrakéo renferme des tréors infinis. Un grand nombre de bouddhas assis ou debout sont en or massif, resplendissant de pierres précieuses, ils proviennent, paraît-il, de l’ancienne capitale du Laos, la superbe Vien-Chan ou Vien-Tian, sur le Mékong. Les Siamois la détruisirent de fond en comble, en 1829, après lui avoir dérobé ses richesses, parmi lesquelles se trouvait le fameux palladium, le Bouddha en émeraude, le « Phra-Kéo, » qui, en réalité, est en jade. Depuis que les événemens de 1893 ont donné Vien-Tian à la France, les Siamois craignent de voir cette effigie déserter leur capitale pour retourner au Laos. Ils y font bonne garde, car sa disparition serait la fin de la domination siamoise. L’idole est juchée sur un amoncellement d’autels superposés et mesure 0m25 de hauteur. Elle repose sous un dais en or ; une riche étoile la recouvre, de sorte qu’on n’aperçoit que la tête.

Les murs de la pagode sont peints du haut en bas, ils retracent l’histoire de Bouddha ; ailleurs, le Ramayana déroule sa légende ; et, plus loin, le ciel brahmanique emmêle dans les nuages ses phalanges de thévadas. On devine l’œuvre d’ouvriers indous avec ses adultérations symboliques. Partout le brahmanisme est mêlé au bouddhisme et le domine dans les sculptures et les représentations ilécoratives comme du reste dans les cérémonies religieuses.

Cependant le Siam est le pays de l’Indo-Chine où le bouddhisme est le moins mélangé d’autres élémens religieux. La plus grosse part de l’épargne nationale est consacrée aux pagodes. À voir même la richesse de tous les temples, on pourrait croire le peuple entraîné par un zèle religieux ardent à la glorification superbe de ses symboles de morale divine. Il n’en est rien ; c’est plutôt l’égoïste préoccupation du bonheur personnel éternellement futur qui convie à des actes de munificence architecturale sans portée collective. La peur de mourir sans que la somme des « mérites » selon la conception bouddhique, l’emporte sur celle des « démérites » est pour beaucoup dans ces fondations pieuses ;