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même. Toujours est-il que le projet de décret figura pendant plusieurs semaines à l’ordre du jour, puis tout à coup il en disparut sans explication officielle ; j’appris ainsi qu’il était retiré.

Quel fut le véritable motif de ce revirement dans les vues du gouvernement ? Aujourd’hui encore je ne le connais pas avec certitude, et j’en suis réduit à des conjectures. Le gouvernement s’aperçut-il que l’impression générale du Conseil lui était défavorable ? Faut-il croire, comme l’affirme avec assez de vraisemblance le Dictionnaire de Larousse, au mot « Grand Orient, » que les Francs-Maçons accentuèrent encore leur opposition à un projet que le Grand Maître improvisé avait pris sur lui de présenter sans consulter ni les Loges, ni même l’Assemblée maçonnique ? Cette opposition serait devenue assez sérieuse pour que le Maréchal eût été forcé de demander lui-même l’ajournement de la discussion jusqu’au jour très prochain de l’Assemblée annuelle, qui devait se réunir le lundi de la Pentecôte. Puis, l’Assemblée s’étant prononcée contre le projet, le Maréchal avait dû retirer sa demande. Il serait possible aussi que ; le retrait s’expliquât par les incidens de la politique générale. Pendant les retards successifs de la discussion, les élections de 1863 avaient eu lieu, et elles avaient sensiblement modifié la composition du Corps législatif. A côté des Cinq députés qui, depuis 1857, tenaient seuls le drapeau de l’opposition avec une nuance républicaine trop accentuée pour être très écoutée par le pays, les électeurs venaient d’envoyer un certain nombre de libéraux dont la voix pouvait avoir plus d’écho sur l’opinion publique. Cette situation nouvelle, dont il était impossible de ne pas tenir compte, amena une déviation dans l’orientation de la politique impériale. M. de Persigny cessa d’être ministre de l’Intérieur. M. Baroche devint garde des Sceaux et fut remplacé comme Président du Conseil d’Etat par M. Rouher. Les nouveaux ministres n’étaient pas engagés dans l’affaire de la Maçonnerie, et sans doute ils renoncèrent sans regret à une mesure qui était très contestée, même par les amis du gouvernement ; qui avait été une machine de guerre contre les catholiques plutôt qu’une faveur offerte aux francs-maçons ; et qui risquait de mécontenter à la fois les francs-maçons et les catholiques.


EUGENE MARBEAU.