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mystère, — il valait mieux ne pas lui attribuer le caractère d’établissement d’utilité publique reconnu par l’État ; que cette mesure serait de celles dont se réjouissent les ennemis du gouvernement et dont s’attristent ses amis ; que si, pour être agréable au Maréchal et pour aplanir les difficultés qu’il rencontrait dans sa lâche nouvelle, on tenait à donner au Grand Orient le moyen légal de contracter un emprunt hypothécaire, il faudrait au moins faire rentrer la Franc-Maçonnerie dans le droit commun des autres sociétés ; l’obliger à se faire connaître complètement et sans réserves, à fonctionner publiquement et ouvertement. Accepterait-elle, par exemple, la législation qui régit les sociétés -de secours mutuels, la présence d’un délégué de l’autorité à ses réunions, la nomination des présidons de ses Loges par l’administration, ou tout au moins par le Grand Maître, représentant de l’Empereur ?

M. Thuillier prit aussitôt la parole, et, sans donner, autant que je puis me le rappeler, aucun argument sérieux pour me répondre, il se contenta de déclarer, d’un ton autoritaire, que le gouvernement savait ce qu’il faisait ; que la mesure proposée, était demandée par un personnage considérable, auquel il fallait donner satisfaction et dont la présence suffisait pour assurer au gouvernement toute l’action nécessaire sur la Franc-Maçonnerie ; qu’il n’y avait pas lieu de s’arrêter à des objections soulevées par l’esprit d’opposition, etc., etc. Son discours fut si violent contre le rapporteur que mes collègues en furent très émus. Je voyais quelques-uns d’entre eux, notamment Berthier, qui, en sa qualité d’ancien politicien de Savoie, était mieux au courant que moi des dessous de la politique et de la Franc-Maçonnerie, se lever et venir derrière le fauteuil du président pour suivre de plus près la discussion. Ce mouvement témoignait bien son émotion, car, dans notre salle relativement petite, mes collègues pouvaient entendre aussi bien de leur place et n’avaient pas besoin de se rapprocher de quelques mètres.

M. Boinvilliers, qui parla ensuite, se préoccupa un peu plus de donner des raisons pour appuyer le projet de décret. Il avait, mieux que M. Thuillier, étranger aux habitudes du Conseil, le sentiment de ce qu’il fallait dire pour persuader ses collègues. Il affirma que la Franc-Maçonnerie n’était nullement une institution révolutionnaire ; qu’elle ne s’occupait plus depuis longtemps de politique ni de religion ; que ses statuts le lui interdisaient