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que le maréchal Magnan sollicita pour la Franc-Maçonnerie, que d’ailleurs il n’avait pas consultée, précisément cette attache officielle que déclinait la Société catholique.

M. de Persigny, ministre de l’Intérieur, saisit avec empressement l’occasion de faire ressortir le contraste entre le bon esprit que témoignait la Maçonnerie et l’esprit d’opposition ou de défiance que manifestait la Société de Saint-Vincent-de-Paul. En accédant au désir du Maréchal, il trouvait le moyen de faire échec à la Société catholique, et en même temps de confisquer, — du moins il s’en flattait, — la Franc-Maçonnerie.

Mais ce n’était pas tout que d’envoyer au Conseil d’Etat un projet de décret portant reconnaissance du Grand Orient comme établissement d’utilité publique : il fallait encore obtenir que ce décret fut favorablement accueilli par le Conseil. Le Conseil d’Etat du second Empire était sans doute très gouvernemental, mais il était aussi fort indépendant. Parmi ses membres, plusieurs étaient animés de sentimens profondément religieux, et l’on devait s’attendre à ce qu’ils fussent peu favorables au projet.

Le catholique M. Cornudet, le protestant M. Léon de Bussières étaient les hommes les plus respectés du Conseil : leur caractère, l’élévation de leur pensée et de leurs sentimens, leur talent de parole leur donnaient à juste titre une grande autorité sur leurs collègues. L’un et l’autre étaient dévoués à l’Empire qu’ils considéraient comme le défenseur de l’ordre social, mais ils avaient prouvé qu’ils n’hésitaient pas à combattre les mesures que leur conscience condamnait. On pouvait donc prévoir une contradiction sérieuse. Aussi eût-il été naturel, à cause de l’importance exceptionnelle de l’affaire, d’en confier le rapport à un conseiller d’Etat. Cependant le dossier me fut envoyé. J’étais, à la section de l’intérieur, le rapporteur ordinaire des décrets qui reconnaissaient comme établissement d’utilité publique les sociétés savantes et les œuvres de bienfaisance. Peut-être mes chefs pensèrent-ils, en chargeant de cette affaire un simple maître des requêtes, en voiler la gravité, et lui donner l’apparence d’une simple affaire administrative, semblable à toutes celles que l’on avait l’habitude de me voir traiter.

Je ne m’étais jamais occupé de politique, ni de questions religieuses, ni de franc-maçonnerie. Je n’avais d’avance aucune prévention contre le projet, aucun parti pris. Je trouvai la