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succès a fait connaître, — à celle des pièces de M. Max Halbe qui m’a séduit tout à fait : la Terre maternelle.


II

Cette fois-ci, le jeune écrivain se trouve dans les meilleures conditions de son talent, qui n’est à son aise que devant la réalité humaine, et qui s’est également trompé en recherchant la vérité générale, comme dans le Conquérant, ou la réalité extérieure et banale, comme dans Amour libre. Plus de ces descriptions minutieuses qui donnent l’illusion de la vie plutôt qu’elles n’expriment la vie elle-même. Tout ce qu’on nous dit de tante Claire, c’est qu’elle a la tête enveloppée d’un épais fichu gris ; de Hella, qu’elle porte un manteau de fourrure avec une toque ; de Paul, qu’il a posé son chapeau et son pardessus dans l’entrée ; de Glyszynski, qu’il est en épais pardessus d’hiver. Et pourtant, ces quatre personnages, auxquels il faudra joindre Antoinette et son ivrogne de mari, nommé Laskowski, nous serons très rapidement familiers : il suffira de quelques répliques pour que nous les devinions et prenions le plus vif intérêt à leurs sentimens et à leurs actes.

Paul Warkentin, fils d’un propriétaire de la Prusse orientale, a quitté le foyer paternel après une violente scène avec son père, pour aller à Berlin réaliser les brillantes destinées que lui promet son ambition. Dix ans ont passé sans qu’il revienne à Ellenhof. Pendant ce temps, l’amie de sa petite enfance, qu’on lui destinait et qu’il n’a pas voulue, a épousé un voisin, ivrogne et grossier ; tante Claire s’est consacrée à soigner M. Warkentin, dont les dernières années se sont écoulées dans la tristesse de ne pas revoir son fils : les gens du pays ont vieilli sans s’en apercevoir ; les choses ont conservé l’aspect qu’elles ont toujours eu. Paul a vécu selon sa volonté. A vrai dire, sa destinée n’a pas eu tout l’éclat qu’il avait espéré ; mais enfin, il a pu avoir l’illusion d’être quelque chose, sinon quelqu’un, de compter un peu dans le monde, de contribuer pour une toute petite part à diriger les progrès ou à surveiller le piétinement de l’humanité. En effet, il a épousé une personne active et émancipée. Hella Bernhardy, avec laquelle il a fondé et dirigé un journal féministe. Le journal marche à peu près ; mais le ménage va moins bien, et s’il ne se dissout pas, c’est grâce à la veulerie