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cédé, entre bien d’autres, M. Ad. Wilbrandt, qu’on a vu aborder la tragédie, le drame romantique, la comédie moderne, le drame fantaisiste ; M. Ernest de Wildenbruch, qui ajoute à ces variétés celle du drame national et brandebourgeois ; M. Sudermann, parti du réalisme presque méticuleux de l’Honneur pour aboutir à la tragédie hébraïque de Johannes, après avoir mélangé, dans sa trilogie des Morituri, des Goths, des êtres de fantaisie et des officiers prussiens ; M. Gerhardt Hauptmann, dont chaque pièce, ou presque, est une tentative nouvelle ; et M. Max Halbe, leur cadet, dont nous voudrions parcourir aujourd’hui l’œuvre déjà considérable. Cette diversité nous étonne un peu : car, en France, chaque auteur représente un « genre » plus circonscrit. Nous ne nous imaginons guère un vaudeville de Dumas fils, un drame romantique de Labiche, une tragédie en vers de Meilhac. En examinant les pièces de M. Max Halbe, nous verrons agir cette « loi de diversité » qui semble un des postulats de l’esthétique théâtrale allemande ; et nous reconnaîtrons peut-être qu’elle n’est point favorable à un auteur d’un talent déterminé, qui tombe au-dessous de lui-même dès qu’il sort de sa voie normale.


I


L’inégalité même de ces pièces suffirait à prouver que ce principe est ici de juste application. Sans doute, tous les auteurs sont « inégaux ». Ceux qui produisent beaucoup le sont avec abondance et allègrement ; ceux qui produisent peu le sont avec parcimonie et dans l’angoisse. Les plus consciencieux, les plus laborieux, les plus patiens n’évitent point cet écueil et ne parviennent point à livrer à la postérité un ensemble d’œuvres que l’admiration des descendans place sur le même plan. Ne fît-on dans sa vie que deux drames, deux livres ou deux sonnets, il y aurait encore des chances pour que l’un fût meilleur que l’autre. Mais, chez M. Max Halbe, cette « inégalité » atteint à des proportions d’autant plus étonnantes que la continuité de son effort donne l’impression d’un travailleur réfléchi et régulier. En dix années, il a publié neuf pièces. Dans le nombre, il en est deux, Jeunesse et Terre maternelle, qui sont de premier ordre ; les autres mélangent des scènes très belles à des scènes d’une évidente infériorité ; et j’avoue que le Conquérant, tragédie en prose, me paraît une simple erreur en cinq actes.