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estimait devoir prendre ; elle professe, elle aussi, qu’en protégeant le pauvre, il faut que la police veille de plus près sur sa conduite ; » et cela, par le même motif, — toujours le même : — la peur de cet élément de désordre et de perturbation, « parce qu’il n’aurait qu’à gagner dans le trouble. »

La Révolution, donc, n’a pas su se guérir de cette « phobie » d’ancien régime, et qu’elle ne s’en soit pas guérie, il n’y a là rien qui puisse étonner : ni dans ses causes, ni dans ses origines, ni dans sa direction, ni dans son personnel, la Révolution de 1789 n’a été une révolution ouvrière : de point en point, et, d’un bout à l’autre, et du commencement à la fin, par quelques phases qu’elle ait passé et par quelques mains, elle porte l’empreinte, la marque de fabrique « bourgeoise, » et de la plus fermée, de la plus jalouse, de la plus aristocratique des bourgeoisies, cette bourgeoisie de Palais qui ne vit qu’avec soi-même et qui n’a pas d’ailleurs beaucoup plus de sympathie pour la bourgeoisie de boutique, commerçans ou industriels, que pour les ouvriers, gens de négoce ou de besogne, les uns et les autres petites gens à ses yeux. Car son libéralisme est tout oratoire, et de tête ; sa « sensibilité » est toute verbale : libéralisme et sensibilité sont les épanchemens par où s’écoule au dehors la littérature dont elle est imbue ; mais elle n’a dans le cœur et dans le sang que son Moi. On comprend que, faite par elle, la Révolution française n’ait fait pour l’ouvrier, philosophie, philanthropie et phraséologie ôtées, rien, ou si peu que rien, de direct et de positif.

Est-ce à dire toutefois que, pour lui, elle n’ait absolument rien fait à échéance plus ou moins reculée et de façon plus ou moins détournée ? Ce serait se moquer que de le prétendre ; tout au contraire, elle a beaucoup fait, indirectement, de deux manières : elle a fait les deux plus grandes choses qui pussent être faites, si, en vérité, la double secousse, le double ébranlement d’où devaient sortir et la transformation psychologique de l’Individu, d’une part, et, d’autre part, la transformation juridique de l’Etat, c’est elle qui les a imprimés à une société avant elle stagnante. Avant elle, l’Individu traînait en quelque sorte entre deux éternités, la première au-dessus de lui, la seconde autour de lui, une existence résignée et pleine du sentiment de l’immuable : il en était ainsi, parce qu’il en avait été toujours ainsi, et, parce qu’il en était ainsi, il en serait toujours ainsi. C’était