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dans chacun des cantons importans du département, sont devenus, peu à peu, ici comme dans presque toute la France, les rendez-vous très fréquentés, trop fréquentés parfois, des cultivateurs, marchands de grains et de graines, marchands de chevaux, courtiers en sucres, en charbons, en engrais. Des villages et des bourgs, partent, le matin, les fermiers, vêtus comme des bourgeois ou des paysans couverts de la traditionnelle blouse bleue. Qui par le chemin de fer, qui en cabriolet, qui en carriole, qui en charrette, qui à pied, un panier sous le bras, tous viennent au centre pourvoir, parler, se renseigner, prendre le vent, acheter ou vendre, aller aux nouvelles, saisir un avis, un conseil, une idée. Ce jour-là, ce sont les cafés qui triomphent. Leurs portes s’ouvrent et se ferment constamment. La fumée les emplit. Les voix montent et s’interpellent. Les joueurs sont assis aux tables, et ce ne sont pas eux qui jouent le plus gros jeu.

Partout, à l’agence, à la halle, dans les rues, un peuple de spéculateurs, d’agioteurs, de marchands sur primes, sur échantillons, sur parole, se passe et se repasse, par des mots rapides et mystérieux, des marchandises ou des valeurs que personne n’a vues et dont l’existence même est, parfois, aléatoire. Dans le coudoiement de la foule, les visages enfiévrés ou allumés, les yeux qui se cherchent ou qui s’évitent, les caractères qui se révèlent, les passions qui se dévoilent et les situations qui se découvrent, donnent à la ville, si calme d’ordinaire, une vivante animation. Les femmes, qui ont fait leurs emplettes aux boutiques pleines d’alléchantes séductions et qui marmonnent, en elles-mêmes, sur le prix des choses et sur leur propre entraînement, viennent tourner autour des places où les hommes sont réunis criant et gesticulant jusqu’à la dernière minute, et elles les tirent par la manche pour leur rappeler la longueur de la route ou l’heure des trains.

C’est de tout ce monde que vit la ville elle-même : dix hôteliers, vingt cafetiers, quarante-cinq aubergistes, dix restaurans, sept bouchers, treize boulangers, quinze charcutiers, trente-huit épiciers, six pâtissiers, dix marchands de vins et spiritueux, treize marchands de tabac, douze coiffeurs, cinq tailleurs, huit modistes, six marchands de nouveautés et confections pour dames, sept marchands de meubles, cinq quincailliers, huit loueurs de chevaux et voitures, quatre libraires, trois