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cette interprétation sophistique, mais extérieurement légale et correcte, puisqu’elle ; respectait les termes écrits d’un pacte international : en outre, si l’on voulait bien n’y pas regarder de trop près, elle réservait les droits souverains du sultan, et assurait au prince Alexandre, sinon l’étiquette officielle, du moins les avantages matériels de l’union. Enfin une telle combinaison, par son aspect ambigu, représentait fidèlement les incertitudes doctrinales de la diplomatie contemporaine.

Elle avait cependant un côté faible ; elle ne visait que les intérêts bulgares et soulevait ainsi une difficulté très grave. Elle blessait profondément la Grèce, dont la situation se trouvait diminuée par l’accroissement accordé à un État, son rival. Les Hellènes ne recevaient, aucune compensation, et même aucune espérance d’en obtenir. Ils ne pouvaient s’abuser sur le véritable sens de la subtile décision des Cours : en fait, la conjonction administrative des pays bulgares en constituait l’unité : le statu quo était modifié au profit de Sofia et de Philippopoli et au détriment d’Athènes ; l’incident se terminait par l’établissement d’un état de choses pénible pour les Grecs dans le présent et redoutable dans l’avenir, et l’on provoquait un soulèvement de l’opinion hellène qu’il eût été préférable de ménager au moins par des pourparlers bienveillans. On résolut néanmoins de passer outre ; en se flattant de l’intimider : mais elle était trop aigrie et trop agitée pour se soumettre : son indignation se manifesta par les réclamations les plus vives, et la question grecque, substituée à la question bulgare, prit alors le premier rang dans les préoccupations de l’Europe.


V

Lorsque j’étais rentré en Grèce dans les premiers jours qui suivirent l’insurrection rouméliote, j’avais trouvé le gouvernement, les hommes politiques, le pays entier, anxieux et irrités. Les esprits, alarmés dès les premiers jours par la seule perspective de concessions faites à la nationalité bulgare, devenaient de plus en plus impatiens, à mesure que diminuait l’espoir d’une répression, ou la perspective d’un remaniement territorial destiné à reconstituer l’équilibre sur d’autres bases. Lorsque la défaite des Serbes eut écarté l’hypothèse du statu quo et rendu presque certaine notre condescendance aux ambitions du prince